Kifayath Tokochabi à propos de l’avortement sécurisé au Bénin : « Aucune femme ne va à l’avortement par pur plaisir … »

17 septembre 2021

Le droit à la santé sexuelle et reproductive est perçu aujourd’hui dans le monde de plusieurs manières, plus particulièrement l’avortement. Au Bénin, nombreuses sont les femmes qui pratiquent l’avortement de façon clandestine et en meurent. L’avortement sécurisé est pourtant recommandé mais plusieurs raisons entravent son application. Kifayath Tokochabi, jeune experte en Santé et Droits Sexuels et Reproductifs (SDSR) aborde à travers cet entretien, les enjeux de l’avortement sécurisé au Bénin.

Que peut-on comprendre par avortement sécurisé ?
On ne saurait définir l’avortement sécurisé sans déjà parler de l’avortement lui-même. Et l’avortement, c’est la perte d’un embryon ou d’un fœtus lors d’une grossesse. Il y en a de différents types : l’avortement spontané encore appelé fausse couche ; l’avortement provoqué qui est l’interruption volontaire de grossesse (IVG) ; l’interruption médicale de grossesse qui est aussi un avortement provoqué. On entend par avortement sécurisé un avortement légal, c’est-à-dire qui n’est pas clandestin. C’est un avortement qui n’est pas à risque, qui est fait dans les meilleures conditions médicales appropriées avec la personne qui a la formation adéquate adaptée pour offrir ce type de service, avec un suivi psychologique et tout.

Comment faire un avortement sécurisé au Bénin ?
Lorsque vous savez que vous êtes en état de grossesse, la première chose à faire, c’est d’aller dans un hôpital certifié pour connaître votre état de santé et voir si vous êtes dans les conditions adéquates pour bénéficier d’un service d’avortement sécurisé. C’est vrai que l’avortement sécurisé protège et est disponible au Bénin mais c’est régi par certaines conditions. Et donc pour bénéficier d’un avortement sécurisé, la première chose c’est d’être dans les trois conditions régies par la loi.

Justement, quelles sont les dispositions légales qui régissent l’avortement au Bénin ?
Pour qu’un avortement soit sécurisé, il faut qu’il soit fait dans les conditions légales et médicales adéquates. Au Bénin, l’avortement est légalisé par la loi 2003-04 du 03 mars 2003 relative à la santé sexuelle et à la reproduction qui définit en son article 17 les trois conditions d’accès à l’avortement. Il n’est possible que quand la poursuite de la grossesse met en danger la vie et la santé de la femme enceinte ; à la demande de la femme, lorsque la grossesse est la conséquence d’un viol ou d’une relation incestueuse ; l’enfant à naître est atteint d’une affection d’une particulière gravité au moment du diagnostic. C’est donc une loi vraiment restrictive.

Avec cette restriction, y a-t-il des femmes qui arrivent à faire ce type d’avortement ?
Bien-sûr, c’est assez-difficile. Déjà, de ce que j’en savais, ayant rencontré des personnes qui étaient dans ce type de besoin, c’est que pour avoir accès à ce volet légale d’avortement, il faut un long processus. Si c’est par exemple le cas où la santé de la mère est en danger, c’est qu’il faut d’abord avoir l’aval de trois différents médecins gynécologues, déposer la demande au niveau d’un juge etc. Cela fait que parfois avant que la femme ne bénéficie du service d’avortement sécurisé, elle n’est même plus dans le délai à respecter.

Qu’est-ce qui différencie alors l’avortement sécurisé de celui clandestin ?
L’avortement sécurisé est un avortement légal, qui est fait selon les conditions prévues par la loi, c’est un avortement qui est médicalisé, sûr et sécurisé. En matière d’avortement clandestin, c’est que soit les conditions ne sont pas respectées, soit le service n’est pas adéquat, soit l’ensemble des soins de santé n’est pas respectueux du service qui veut être accordé. C’est un type d’avortement à risque.

Dans le cas d’une grossesse non désirée, peut-on se référer à un avortement sécurisé ?
Au Bénin, le taux de grossesses non désirées est en hausse. Dans les pays qui sont dotés de lois fortement restrictives par rapport à l’avortement, le besoin en service d’avortement est très élevé. Quand on parle de grossesse non désirée, il y en a de plusieurs types. La grossesse non désirée d’une jeune fille par exemple qui tombe enceinte après un rapport sexuel non protégé avec un jeune homme, ne peut pas être comparée à celle d’une femme qui a peut-être voulu avoir un enfant mais qui à un moment donné se rend compte que la venue de cet enfant constitue un risque pour sa propre vie. Et donc se référer à l’avortement sécurisé dépend du type de grossesse non désirée. S’il s’agit d’un inceste ou d’un viol et que vous avez porté plainte à l’avance, vous pouvez peut-être penser bénéficier d’un service d’avortement sécurisé. Si tant est que le fœtus est malformé et que c’est peut-être dû à une grossesse non désirée, on peut bénéficier d’un avortement sécurisé. Si c’est la vie de la mère ou sa santé qui est en danger et que de ce fait la grossesse n’est plus désirée, on peut encore bénéficier du service d’avortement sécurisé. Mais dans les autres cas qui ne respectent pas les conditions fixées par la loi, on ne peut pas se référer au service d’avortement sécurisé.

Alors, comment aidez-vous ces femmes qui optent pour l’avortement sécurisé mais ne respectent pas les conditions prévues par la loi ?
Si ça ne respecte pas les conditions prévues par la loi, il n’y a pas lieu d’avorter. Sinon, ça devient un avortement clandestin. Dans ces genres de situation, en tant qu’activistes, nous discutons avec ces personnes pour voir dans quelles mesures on peut les aider. S’il s’agit des raisons financières, on demande le soutien des réseaux féministes ou des organisations pour aider ces jeunes femmes à garder la grossesse ou à accrocher la grossesse aux parents. Aussi, nous leur donnons des conseils pour qu’à l’avenir, elles optent pour les méthodes contraceptives.

Quels impacts l’imposition de l’acte de reconnaissance de paternité peut-il avoir sur les avortements au Bénin ?
Personnellement, je pense que l’imposition de cet acte de reconnaissance de paternité va apporter une recrudescence dans le besoin en service d’avortement des filles. Puisque, aujourd’hui ne voulant pas faire un enfant que les gens appelleront ‘‘bâtard, illégitime’’ ou autres appellations horribles et néfastes pour la psychologie de l’enfant, la jeune fille peut être poussée à préférer recourir à un avortement, même à risque, juste dans le but d’éviter de faire un enfant sans père au cas où ce dernier ne reconnaîtrait pas la paternité de la grossesse. Mais en même temps, cela pousse aussi à un certain niveau de responsabilité. De l’autre côté, cela poussera la jeune fille à réfléchir plusieurs fois avant de tomber enceinte, à se poser les bonnes questions. Est-ce que si je vais à l’acte sexuel aujourd’hui ce n’est pas trop risqué pour moi ; est-ce que je ne vais pas tomber enceinte, est-ce qu’il ne faut pas que je me protège etc. Je pense que cela va créer aussi une certaine prise de conscience au niveau des jeunes filles.

Alors, à votre avis, dans quelle mesure élargir les avortements sécurisés à tout type de grossesses non désirées ?
Aujourd’hui, la seule façon d’élargir les avortements sécurisés à tout type de grossesses non désirées, c’est de rendre la loi moins restrictive. Et il faut dire que pour plus d’un, le fait de rendre la loi moins restrictive peut pousser les jeunes filles à la débauche sexuelle. Mais les statistiques sont claires. En effet, selon les informations recueillies dans les documents de Guttmacher Institute, on se rend compte que dans une population où l’avortement sécurisé est restrictif, il y a une croissance des avortements clandestins et à risque. Par contre dans les pays où l’avortement est autorisé par la loi, la demande en avortement sécurisé est faible et la prévalence contraceptive est plus élevée. C’est-à-dire que dans ces pays, la femme peut avoir recours à un avortement sécurisé mais en adoptant une méthode contraceptive de son choix. Ce qui donne lieu à une croissance contraceptive et une décroissance de la demande en service d’avortement. Beaucoup se disent qu’autoriser l’avortement encouragerait la débauche mais en fait, aucune femme ne va à l’avortement par pur plaisir ; l’avortement ce n’est pas un événement, ce n’est pas quelque chose qui donne du plaisir à la femme. Au contraire, pour qu’une jeune fille apte, décide d’aller à l’avortement, c’est souvent suite à plusieurs réflexions peut-être pas mûries. Donc, permettre quand même à ces jeunes femmes d’avoir accès à un service d’avortement sécurisé peut aider à augmenter la prévalence contraceptive mais en même temps à réduire la demande en service d’avortement sécurisé. Enfin, cela permettra de réduire le nombre d’avortements clandestins et à risques. Ainsi, le taux de mortalité maternelle dû aux avortements clandestins (15% chez les adolescentes en 2017) sera réduit.

D’ici quelques jours, on célèbrera la Journée Internationale de l’avortement sécurisé. Qu’est-ce qui est fait concrètement et qu’est-ce qu’il est prévu de faire pour en arriver là ?
Aujourd’hui, au Bénin, le sujet de l’avortement fait partie des priorités de certaines organisations. Il y a beaucoup de projets, de plaidoyers qui sont en train d’être menés par des organisations nationales comme internationales pour quand même faciliter l’accès des femmes à un avortement sécurisé au Bénin. En tant que jeune activiste, au cours de la journée de l’avortement sécurisé, nous sensibilisons encore plus la population à éviter de stigmatiser les jeunes filles.

Quels conseils avez-vous à donner aux femmes pour réduire les avortements clandestins au Bénin ?
La meilleure façon de réduire les avortements clandestins et à risques, c’est d’opter pour une augmentation de la prévalence contraceptive. Et aux femmes, je dirai qu’il est important aujourd’hui d’opter pour l’autonomisation parce qu’une femme qui arrive à prendre soin d’elle, qui arrive à gagner de l’argent et à le mettre de côté peut à elle seule prendre une grossesse, la porter jusqu’à terme et prendre soin de son enfant, même sans le soutien d’un homme ou en cas de fuite de responsabilité. Mais lorsque la femme n’est pas autonome, elle ne peut pas le faire. Pour finir, je vais dire que l’avortement sécurisé est à prioriser et il est important que les femmes optent beaucoup plus pour la contraception afin de favoriser leur propre-autonomisation.
Propos recueillis par : Arsène Azizaho (Stag.)



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