Me Alain Orounla à propos du pardon présidentiel : « Le juge Angelo Houssou est la principale victime collatérale de cette affaire »

Moïse DOSSOUMOU 19 mai 2014

Le 17 mai, date mémorable où le juge Angelo Houssou a rendu les deux ordonnances de non-lieu ,a été choisi par son avocat pour se prononcer officiellement sur le pardon accordé par le chef de l’Etat aux présumés auteurs de la tentative d’empoisonnement dont il aurait été la cible de même que la tentative d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Après avoir expliqué les contours juridiques de cet acte présidentiel, il s’est offusqué du fait qu’aucune attention n’ait été accordée à son client qu’il considère comme la première victime collatérale de cette double affaire. C’est ce qu’il convient de retenir du point de presse qu’il a animé samedi dernier à son cabinet sis à Pk 10. Retour ici sur quelques morceaux choisis de sa déclaration.

« Le non-lieu signifie qu’il y a un problème de preuves et de charges »
« … Il y a un an, le juge Angelo Houssou que j’ai la fierté d’abord d’accompagner dans sa mésaventure avant que je ne sois son défenseur a rendu deux ordonnances qui étaient supposées mettre un terme aux délicats et sensibles dossiers qu’on lui a confiés. Par ces deux ordonnances, le magistrat saisi à la diligence et à l’initiative du parquet, après avoir auditionné les protagonistes désignés et dénoncés a conclu à un non-lieu. Que veut dire un non-lieu ? Techniquement, c’est quand le juge estime qu’il n’y a pas de preuves ni de charges suffisantes pour renvoyer les personnes inculpées devant un juge de jugement. Ça ne veut pas dire qu’on a innocenté, ça ne veut pas dire qu’on n’a pas cru en la parole de la victime. Ça veut dire tout simplement qu’il y a un problème de preuves et de charges. Le non-lieu en la matière est d’autant plus délicat qu’il s’agissait d’infractions toutes aussi délicates poursuivies pour leur tentative. En droit comme en procédure pénale, la tentative, c’est d’abord un commencement d’exécution et une absence de désistement volontaire c’est-à-dire de renonciation à l’acte criminel qu’on s’apprêtait à accomplir. Autrement dit, s’il y a un élément qui manque, puisque c’est des éléments concurrents, la tentative n’est plus punissable en droit. La vérité du droit et de la procédure n’a pas grand-chose à voir avec la vérité du cœur et des intentions. C’est purement technique… »

Le retour des griots…
« … Le président de la République, dans son adresse à la nation en date du mercredi 14 mai a décrété un pardon pour tous ceux qui auraient tenté de nuire non seulement à sa personne mais également à la République. S’il est vrai que dans l’euphorie générale, nous avons remercié cette attitude présidentielle qui contraste fort heureusement avec ce à quoi nous avons été habitués pendant ces deux années, il n’en demeure pas moins que l’ambigüité du discours du président de la République ne nous a pas échappé. Et nous n’aurions pas organisé cette conférence de presse si au moment où le président demande à tout le monde de tourner la page, des gens qui se réclament de sa mouvance ne se sont pas empressés de commenter ce discours à leur guise. Il y a également les partisans qui ont repris du service avec les marches de soutien qui pour crier au crime reconnu par les uns, qui pour dire la grandeur du geste présidentiel… »

« Le juge Angelo Houssou est la principale victime collatérale de cette affaire »
« … Dans la forme, vous auriez noté que le président de la République a nommément désigné ceux à qui il pardonne. Mais pas un mot n’a été prononcé en direction du juge Angelo Houssou. Je pense que ceci relève très probablement d’une maladresse dans l’adresse du président de la République. Mais présumant toujours les gens de bonne foi, je crois à l’analyse que c’était difficile de mentionner le nom du juge dans la mesure où il n’entre pas dans la catégorie des auteurs présumés de ces infractions criminelles ni de ceux qui sont détenus. Mais il ne vous aura pas échappé qu’il n’en reste pas moins la principale victime collatérale de cette affaire devenue une affaire d’Etat. Puisqu’on a mis de côté, provisoirement tout au moins, les présumés auteurs de la tentative d’assassinat pour stigmatiser un magistrat de la République qui a rendu une décision et qui est devenu l’ennemi public N°1. Si la volonté du président de la République, telle qu’elle est exprimée, est effectivement de faire tourner la page et d’inviter tous les compatriotes à rentrer et à contribuer à l’œuvre de construction nationale, il me semble qu’un mot aurait dû être adressé à ce juge qui n’a fait que son travail et qui a été contraint à l’exil après avoir été persécuté… »

« Il y a une erreur d’appréciation des pouvoirs dont le président de la République pense pouvoir faire usage »
« … L’autre point, c’est la traduction ou l’interprétation juridique qu’il faut donner au pardon présidentiel. Si c’est la victime qui parle, son pardon n’a aucune incidence véritable sur le cours de la procédure. La victime en pardonnant renonce à son action civile. Le pardon suppose la reconnaissance des faits, une déclaration de culpabilité et seule la justice est en droit de le recueillir et d’en tirer les conséquences. Si c’est le président de la République qui pardonne, ce pardon prend la forme d’une grâce. Mais cela suppose une condamnation définitive des auteurs. Ce pardon qui prend la forme d’une grâce est prématuré puisque la phase d’instruction dure encore et aucun juge de jugement n’a eu connaissance de ce dossier. Il y a une erreur d’appréciation des pouvoirs dont le président de la République pense pouvoir faire usage… »
Propos recueillis par Moïse DOSSOUMOU



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