Noel Chadaré au sujet des 30 h dans l’enseignement secondaire : « Le gouvernement a fait l’option de la quantité au détriment de la qualité »

Patrice SOKEGBE 2 octobre 2020

Comment se porte la Cosi-Bénin ?
Elle va très bien. Elle participe à l’action syndicale. Elle fait partie des 6 syndicats qui agissent ensemble. Car ensemble, on est plus fort. Cela nous permet de faire mieux que quand on est seul.

Est-ce à dire que la Cosi-Bénin perd son autonomie, puisque vous êtes le porte-parole de ces centrales syndicales ?
Je suis le porte-parole de ces centrales syndicales. Mais cela ne veut pas dire que nous avons perdu notre autonomie. Chacun a son autonomie, mais nous travaillons ensemble. Ce n’est pas une unité qui fait disparaître. Pour ce qui concerne les sujets d’intérêt national, nous nous mettons ensemble pour indiquer la procédure à suivre.

Est-ce à dire que la position donnée par le porte-parole est la même pour toutes les centrales syndicales ?
Naturellement. Je dois vous dire que nous nous sommes retrouvés ensemble pour discuter des négociations Gouvernement-Syndicats. Et les 6 centrales syndicales ont décidé ensemble de quelle conduite tenir. Mardi dernier, nous avons rencontré le Gouvernement. Il y avait un point qui était prévu à l’ordre du jour. Mais les 6 centrales syndicales, ayant été informées de cette histoire de 30 heures par semaine après qu’on s’est entendu sur le démarrage de la rentrée scolaire, ont estimé qu’il faut en parler en urgence. Ce qui a fait qu’on en a longuement parlé. Cela a été essentiellement le menu des échanges entre le Gouvernement et nous, mardi dernier.

L’urgence, c’est l’attribution des 30 heures par semaine aux aspirants. Qu’est-ce qui a été dit ? Le gouvernement vous a-t-il convaincu par des explications concrètes ?
Je dois vous rappeler que nous avons préparé la rentrée avec tous les ministres des différents secteurs. Ils ont dit ce qu’ils ont fait pour que la rentrée démarre effectivement. A cette occasion, on a convenu d’accord partie que les pré-insérés en situation de classe seront reconduits. Ils seront rejoints par d’autres enseignants qui seront retenus dans la base de données. On s’était entendus sur cela. Mais à notre grande surprise, nous avons appris vers la fin de la semaine dernière, que le ministère a décidé de façon unilatérale de confier 30 heures aux pré-insérés. Ils avaient déjà eu leur emploi du temps de 20 heures et 22 heures, conformément à l’arrêté 069 du 29 novembre 2019 qui fixe clairement les charges horaires pour les professeurs de l’enseignement secondaire. L’arrêté a précisé 18h pour les professeurs certifiés, 20 h pour les professeurs adjoints ; 20h ou 22 h pour les aspirants, élèves professeurs adjoints ou élèves professeurs certifiés. On a constaté que les choses ont changé.

Est-ce que les choses ont changé dans le bon sens ou dans le mauvais sens ?
Je suis désolé de dire que les choses ont changé dans le mauvais sens. C’est vrai, on peut comprendre que le gouvernement a le souci de combler le gap d’enseignants, mais il est très mal inspiré. La thérapie administrée aux aspirants est un placébo.

Qu’est-ce qui gêne dans cette mesure de 30 heures aux aspirants ?
Quand on évolue, les choses changent. Ce que je vais vous dire, c’est que cette thérapie n’est pas la bonne. Le gouvernement a fait l’option de la quantité au détriment de la qualité. Or ce gouvernement a toujours prôné l’excellence et une offre éducative de qualité. On ne peut pas vouloir une offre éducative de qualité, et attribuer une masse horaire excédentaire aux aspirants. La plupart de ces aspirants sont sortis des facultés. Il y a moins de professeurs adjoints et certifiés sortis des écoles, mais beaucoup plus des gens provenant des facultés qui ont un profil d’enseignant. Ceux-là n’ont pas encore l’expérience en la matière, et on va leur donner 30 heures. C’est trop d’heures, et ils seront inefficaces. Ceci, sans compter les effectifs pléthoriques que nous avons dans les classes. Comment un professeur de Français peut-il gérer 5 classes ? Les gens font de l’amalgame en disant que le gouvernement a pris des dispositions pour augmenter leurs revenus, pour les déclarer à la CNSS. Je pense que c’est suffisamment grave. L’Etat a recruté des gens l’année dernière et ne les a pas déclarés à la CNSS. C’est un aveu. En principe, on doit les déclarer. Si on avance les avantages pour allécher les aspirants, ce n’est pas la solution. Il faut éviter l’amalgame entre les petits avantages qu’on leur confère et la qualité de l’offre éducative. Tout le monde a dit à l’unanimité mardi dernier, que c’est un mauvais choix.

Que veut dire bivalence ?
En terme simple, c’est qu’un professeur est disposé à enseigner dans deux matières. Un professeur de français peut également faire Histoire-Géographie, le professeur de SVT fera les Mathématiques, ainsi de suite. Et c’est ce qui est en train de se préparer. Le gouvernement a promis que les aspirants seraient reconduits. Quand on dit de faire 30 heures, je crois que cela ne garantit aucune sécurité aux aspirants. Lorsque les responsables d’établissement ont attribué les 30 heures aux aspirants, certains se sont vu retirer les emplois du temps. Du coup, ils sont actuellement en l’air. On vient à nouveau d’envoyer des jeunes au chômage.

A quels résultats avez-vous abouti suite aux échanges mardi dernier ?
Nous avons joué notre rôle par acquis de conscience. Nous avons dit que cette décision risque d’enfoncer le système éducatif dans les profondeurs abyssales. Parce que nous avons déjà des problèmes. Des gens n’ont pas été formés or nous sommes en Approche par Compétence. Des gens sont sortis des écoles et n’ont pas reçu la moindre formation. Alors ceux-là ne doivent pas être concernés par la bivalence. La bivalence n’est pas une nouveauté dans notre pays, puisque ça s’est déjà passé dans notre pays. Et par le passé, des professeurs ont été préparés pour être bivalents à l’école normale. On ne s’improvise pas bivalent. Mais on veut improviser des bivalents dans le système pour dire qu’il faut compléter. Et c’est des enseignants qui développent cela. Je crois qu’on est en train d’enterrer le système. Il faut qu’on se retrouve de façon inclusive. C’est vrai qu’il y a des difficultés mais on peut trouver des solutions. Mais pas cette solution, elle n’est pas la bonne, c’est un placébo. Le système sera complètement foutu parce que les enseignants ne sont pas formés pour cela.

Peut-on conclure que les négociations sont en vain à ce moment ?
Nous avons avancé nos arguments. Les 7 secrétaires généraux ont dit ce qu’ils pensent avec des arguments pour montrer que ce n’est pas la bonne solution et qu’il faut procéder autrement. Il faut recruter. On a dans la base de données des gens qui attendent d’être utilisés. Ce n’est pas normal qu’on retire à ceux qui étaient dans l’enseignement leur emploi du temps pour compléter des heures à d’autres. L’école ne peut pas être gérée comme une épicerie. On doit investir dans l’éducation. Comme la santé, l’éducation n’a pas de prix. Il faut mettre les moyens. C’est vrai qu’il y a des difficultés et on comprend les problèmes du gouvernement. Mais on ne peut pas faire de l’approximation avec l’école. Et ce qu’on est en train de faire est de l’approximation, on fait du bricolage, du rafistolage, et de colmatage. On a déjà dit ce que nous pensons et on ne sera pas surpris des conséquences. On souhaite que le gouvernement nous entende. Hier, ils ont été sensibles à ce qu’on a dit mais il y avait cette histoire de solidarité gouvernementale qui s’est manifestée et ils sont restés sur leur position. Mais nous avons averti et à un moment donné les gens comprendront pourquoi on disait que ce n’était pas bon et on aura la conscience tranquille.

Pour les négociations, quelles seront les prochaines étapes ?
On a parlé de la santé hier, et les fois à venir on parlera des autres secteurs. On passe en revue les revendications, ce qui a été fait et ce qui n’a pas été fait. La prochaine fois ça sera les autres secteurs qui n’ont pas encore été abordés. On ira au ministère des finances, celui de l’agriculture, etc.

Les élections professionnelles seront dans quelques mois, qu’est-ce que vous en dites ?
Chaque fois qu’on les annonce, on les repousse. Donc on attend qu’on les fasse et qu’elles se fassent dans la transparence, en respectant les normes. On n’est pas inquiet. C’est au gouvernement d’organiser les élections de concert avec les acteurs concernés pour décider ensemble des critères de représentativité. Un comité a travaillé, le gouvernement a pris les décisions. Pour l’instant le groupe de 6 ne s’est pas encore prononcé par rapport à cela. On attend que les décrets sortent pour qu’on puisse apprécier.

L’année scolaire sera-t-elle apaisée ?
C’est notre souhait. Notre souhait n’est pas de perturber le système parce qu’on est d’abord par vocation enseignant. On veut bien que l’année soit apaisée et c’est dans un dialogue. Dans un dialogue constructif on fera tout pour qu’elle soit apaisée. Mais il faut que ça soit partagé entre les deux côtés. Si le gouvernement fait l’option de ne pas nous écouter, à l’heure du bilan on verra si les 30 heures qu’on impose aux enseignants ne sont pas de l’esclavage.
Transcription : Patrice SOKEGBE



Dans la même rubrique