Roger Kounakou, socio-anthropologue au sujet des cas d’autodestruction : « Le taux de suicide est plus élevé dans le rang des jeunes… »

13 juin 2024

Les cas de suicide sont légion ces derniers jours au Bénin. Une situation que nombre de personne interprètent différemment. Si plusieurs facteurs sont à l’origine de ce mal qui gangrène la société béninoise, il est quand même de bon ton de trouver la thérapie de choc. Dans l’interview que voici, Roger Kounakou, socio-anthropologue, en propose une. Lisez !

Ils deviennent croissants. Les cas de suicide volontaire montent au galop sous nos cieux. Comment le sociologue que vous êtes, apprécie ce phénomène ?
Comme vous, monsieur le journaliste, j’ai mes sens à jour. Ainsi, je ne peux pas me permettre de dire que je suis insensible à ce mal qui gangrène notre société.

Et qu’est-ce qui peut être à la base ?
Il faut noter que le suicide est lié au taux d’intégration sociale des individus. Cela voudra dire que même si le taux d’intégration est faible ou pas, l’individu peut se donner la mort facilement. Et quand on parle du taux d’intégration, c’est la relation qu’a un individu lambda avec son environnement immédiat. Par exemple, si dans un milieu donné, il est rejeté, cela peut facilement l’amener à se suicider. C’est ça que nous appelons faible taux d’intégration sociale. Mais si tu es un individu et que tu te familiarises trop ou si tu es trop en contact avec les individus, cela peut te créer aussi des dommages, des anomalies et qui pourront t’amener à te suicider. En un mot, les individus au sein d’une société ne se suicident pas au hasard.

Pourquoi ce sont les jeunes qui s’adonnent à cette pratique laissant leur famille dans un désarroi ?
Nous sommes dans un pays où la jeunesse est en nombre. Nous en avons tout type. De mon point de vue, le taux de suicide ne se limite pas à la tranche d’âge. Si aujourd’hui on constate que le taux de suicide est plus élevé dans le rang des jeunes, cela prouve à suffisance qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Nous sommes dans une Nation où les problèmes sociaux montent au galop. Le sous-emploi par exemple. Quand le jeune diplômé, sur le papier et/ou pétri d’expériences est sans emploi, il n’aura pas la conscience tranquille. Plusieurs idées peu recommandables peuvent lui traverser l’esprit dont la mort. Lorsque le jeune, dans son pays d’origine, voit que l’avenir est sombre, que rien ne marche, que tout est devenu cher, et tutti-quanti, il peut choisir de commettre l’irréparable. Si nous prenons les cybercriminels par exemple, le suicide peut sembler, pour eux, une solution idoine malheureusement. Lorsqu’ils commettent un forfait, les victimes ne resteront pas muettes. Elles vont prononcer des paroles fâcheuses qui auront certainement leurs effets. Et pour ne pas avoir honte dès que les paroles viendront en application, cela crée en eux des soucis et ils pourront se suicider. En dehors de ces activités illicites, il faut aussi parler de degré d’intégration sociale. C’est-à-dire étant jeune n’ayant pas de job et à travers des relations de sociabilité se donne aux réseaux de banditisme, du tabagisme etc, il sera rejeté par la société et par finir, se suicider. Sous un autre angle, l’arrêt inattendu d’une relation amoureuse peut amener un être à se donner volontairement la mort. L’échec à un concours et/ou un examen également. La mort prématurée d’un être cher à soi ou un parent peut pousser un être faible d’esprit à se tuer lui-même.

Au nombre des causes, peut-on tenter d’insérer le sort ou le destin ?
Au nombre de ces différentes causes que je viens de vous énumérer, on ne peut pas dire que le suicide, c’est un sort ou le destin. Je peux dire que le suicide est lié au savoir-faire et au savoir-être des individus. C’est-à-dire les comportements, les relations de sociabilité que développent les individus au sein de la société, favorisent leur suicide.

A des situations particulières, des solutions particulières. Quelles sont les solutions que le sociologue trouve comme palliatifs ?
Par rapport aux approches de solutions sur les cas de suicide au Bénin par exemple, je pourrai dire qu’il faut une sensibilisation de la jeunesse partout et en tout lieu que ce soit à la maison, à l’église, à la mosquée, à l’école, etc. A partir de ces différents lieux de sociabilisations, il faut vraiment cultiver la paix, l’amour et donner des conseils sur le savoir-faire et le savoir-être des individus. Quels sont les comportements qu’il faut adopter pour être accepté et pour vivre longtemps au sein de la communauté et par la communauté ? C’est très important qu’on inculque déjà à nos enfants le savoir-faire et le savoir-être. Il faut que les jeunes soient vraiment encadrés et orientés dès le bas âge. Au niveau des familles monoparentales, il faut créer au moins un centre d’éducation pour recadrer, conseiller et sensibiliser ces jeunes enfants pour que ces derniers ne sentent pas la solitude. Parce qu’étant orphelin ou vivant dans une famille monoparentale et délaissé, on se donne des soucis et ça amène directement les individus à se suicider aussi. Ce n’est pas forcément les actes suicidaires ou les actes déviants qui amènent les individus à se suicider. Si l’individu est délaissé, il peut se donner la mort. Donc, il faut un cadre, il faut un centre d’écoute, d’accueil, d’orientation des adolescents ainsi que des jeunes et aussi bien au niveau de la vieillesse, c’est-à-dire les personnes âgées, pour leur intégration ou réintégration sociale. Et aussi il faut bannir l’inégalité sociale, l’inégalité entre les genres ou l’inégalité physique. C’est-à-dire que, par exemple, les personnes handicapées visuelles et autres, il faut vraiment leur intégration ou réintégration sociale, qu’ils soient vraiment considérés comme les autres. Et si nous donnons l’exemple d’un handicapé physique ou visuel, celui qui a pris de l’argent pour aller à l’école et qui a sa licence ou maîtrise et à la fin on dit que vous êtes inapte ou vous n’êtes pas capable de travailler dans une telle entreprise, cela peut donner de soucis à ce dernier et il peut se suicider. Donc, il faut vraiment promouvoir la justice sociale et bannir l’inégalité sociale.

Votre mot de la fin.
Je vous remercie pour avoir choisi qu’on discute de ce sujet qui est d’actualité. Je voudrais inviter tous ceux qui vivent une situation particulière à croire en l’avenir et ne pas se donner le vilain plaisir d’écourter leur délai de vie. Ce n’est pas la meilleure solution ! Tant que vous avez le souffle, dites-vous que le meilleur reste à venir. La vie n’est pas une question de compétition et chacun à son destin, son heure de gloire.
Réalisation : Mahussé Barnabé AÏSSI (Coll.)



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