Scarifications au Bénin : une ‘‘carte d’identité’’ bafouée

11 juillet 2024

Les scarifications, une pratique naguère courante en Afrique et au Bénin en particulier sont aujourd’hui délaissées voire bafouées. Pour les rares personnes qui en portent encore, elles font l’objet de railleries. Plusieurs raisons expliquent la disparition de cette pratique.

Des personnes portant des balafres et des cicatrices au visage sont aujourd’hui rares. Et les quelques-uns qui en portent encore, éveillent la curiosité. En effet, les scarifications sont méconnues des générations de l’ère moderne. « On a délaissé les cicatrices depuis longtemps avec l’arrivée des blancs. Personne ne voulait plus qu’on lui fasse des cicatrices au visage et les enfants depuis cette époque, en avaient honte », confie Vincent, la cinquantaine qui regrette que la pratique soit de moins en moins populaire. Ainsi, ce rituel qui marque l’appartenance à une famille a été bafouée depuis des décennies. Aujourd’hui, la pratique est en voie de disparition au Bénin à cause de l’occidentalisation de la vie publique comme le confie Sinvorin Adanho, praticien des rituels de scarifications. « On peut dire que c’est l’avènement de la colonisation qui a changé certaines choses. L’occident a tout fait pour que nous puissions délaisser totalement nos pratiques, il y a également la religion qui a poussé les nôtres à ne plus s’occuper de ces pratiques ». Et pourtant ce sont des pratiques aux multiples valeurs à en croire le conservateur. « Ce que nous oublions la plupart du temps, c’est une pratique qui permet de guérir un certain nombre de maux psychosomatiques. Ce sont des principes que nous devons d’ailleurs encourager parce que ça touche directement le sang, or le sang c’est une énergie vitale qui permet à l’homme de vivre et de survivre également. La scarification est une bonne chose, nous ne pouvons pas l’occulter de nos pratiques ancestrales. », a-t-il assuré.

Les scarifiés impopulaires au sein de la société
Après s’être confrontée aux dictats de la modernisation, la pratique de la scarification est devenue impopulaire au sein de la société. Plus personne ne veut être balafré ou cicatrisé. Certains la considèrent comme démodée. « Je ne ferai jamais scarifier mes enfants, c’est une ancienne pratique qui n’est plus à la mode, le monde évolue et il faut évoluer avec le monde », a déclaré Bernadette une mère de famille de trois enfants. De son côté, Romuald également père de famille ne trouve pas nécessaire de scarifier les enfants car pour lui, « cette pratique est une ancienne tradition et la modernisation consiste à abandonner certaines traditions ». De plus, il trouve que les scarifications sont « inutiles » et ne servent plus à rien. En réponse à ceux qui militent pour la sauvegarde des valeurs locales, il conseille que « les traditions peuvent être sauvegardées autrement grâce aux langues, à la danse et beaucoup d’autres choses ». La jeune génération dédaigne davantage la présence de ces entailles sur les visages. Bertille est contente de n’avoir pas été scarifiée. « Mes parents ne m’ont pas fait ça et je suis très contente. Nous sommes des enfants à l’ère du numérique et avoir des cicatrices aux visages n’est pas à la mode. Je ne le ferai à aucun de mes enfants », confie-t-elle. D’autres se morfondent à cause de ces marques sur leur visage. C’est le cas d’Angelo, résident à Cotonou. « Il ne s’agit pas juste de déchirer le visage des gens sans demander leur avis », se plaint-il. François, quant à lui, se plaint d’être rejeté, chaque fois qu’il fait des avances aux filles, à cause des balafres sur son visage. Le conducteur de taxi-moto de 30 ans révèle que les femmes le trouvent vilain. Il y en a qui sont objets de moqueries et se sentent moins considérées ou ignorées à cause des cicatrices. Ainsi, la plupart des gens refusent de faire des scarifications à leurs enfants, au risque d’être traités de tous les noms. « C’est une pratique ancestrale qu’on ne fait plus de nos jours », dit-il. « Si j’avais eu le choix, je n’aurais pas accepté d’être masquée comme ça », raconte Yvonne une élève de 1ère qui dit avoir subi des moqueries lors de ses études dans la ville de Cotonou. D’autres rejettent cette pratique, car les cicatrices sont synonymes de stigmatisation. « Jamais mes enfants ne porteront de marques tribales sur le visage. Cette pratique est dépassée et malsaine », affirme Edwige, une esthéticienne. Pour elle, « c’est dangereux d’utiliser les instruments non stérilisés en ces temps où le VIH et d’autres maladies transmissibles sévissent. De la même manière, je ne pourrais pas sortir avec un homme qui a des marques tribales, c’est dégoûtant ». À cause des risques d’infection au VIH, Rosaline n’a plus souhaité avoir recours aux cicatrices raciales après l’expérience avec ses deux enfants. « Les larmes devraient couler chaque fois, mais les chefs refusent », explique-t-elle. Régis, étudiant de 20 ans, affirme avoir renoncé à une fille après avoir su qu’elle portait des cicatrices sur les joues.

Une société un peu trop modernisée !
Le rejet des personnes scarifiées dans la société actuelle s’explique par une modernisation un peu trop poussée qui fait perdre de vue l’histoire des familles. Selon le sociologue Jean Djissouclounon, l’on ne peut pas parler d’une disparition, mais d’une faible régression spontanée, constatée au sein de la société, c’est certainement chez certains individus en fonction du traumatisme subi et aussi du processus de la cicatrisation. « Ça dépend aussi de la manière dont ce rite est pratiqué, parce que c’est un rite qui permet à l’individu d’intégrer et d’appartenir, de s’identifier à un clan, une famille, une ethnie. C’est un symbole qui permet de reconnaître quelqu’un », a-t-il fait savoir. En outre, les scarifications sont traditionnellement utilisées comme un titre de citoyenneté dans de nombreuses sociétés africaines. Dans de nombreuses cultures, les scarifications sont historiquement ou traditionnellement pratiquées sur le visage des gens pour marquer leur appartenance ethnique, sociale ou religieuse. Elles sont pratiquées pour des raisons sociales et religieuses. Elles peuvent souligner les rôles au sein d’un groupe, la place qu’on a dans une société et les expériences de l’individu. Elles sont considérées comme une marque, une histoire, une tradition qui se pratiquent dans plusieurs familles. Les scarifications, c’est l’identité béninoise, sinon africaine.
Floriane Hountondji (stag)



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