Vague de chaleur au Bénin et dans la sous-région : Des conséquences aux plans humain, économique et agricole

Patrice SOKEGBE 28 mars 2024

Depuis quelques semaines, les populations béninoises et celles de l’Afrique de l’Ouest vivent une période exceptionnelle marquée par une vague de chaleur humide. Tellement délicate, cette chaleur plonge ces populations dans une situation inconfortable, et les alertes se multiplient dans le rang des organisations en charge du climat.

34°C et l’on se croirait déjà en enfer. Le Bénin, tout comme la plupart des pays de la sous-région, vit depuis quelques semaines, une vague de chaleur suffocante. De Malanville à Cotonou, en passant par Dassa, Parakou, Kandi et autres, la température visiblement assez élevée ne laisse personne indifférent. En journée, il est presque insupportable de trouver le confort dans sa propre chambre. Plus on s’hydrate, plus la transpiration est intense. Même les ventilateurs, brasseurs ou éventails ne tiennent plus face à cette chaleur caniculaire. A moins d’être équipé de climatiseur, chose presque impossible pour les pauvres, avoir un peu de confort est devenu une denrée rare. « Avec cette chaleur, ne débarquez plus chez les gens n’importe comment. Tapez et attendez la réponse », dit Houéfa d’un ton comique. Pendant la nuit, impossible de dormir profondément. Les habitants sont partagés entre ‘’garder la porte fermée et subir les affres de la chaleur’’ et ‘’garder la porter ouverte, et s’exposer aux moustiques’’. « Nous n’avons jamais vécu une chaleur pareille. Ce qui se passe montre que le changement climatique n’est pas qu’ailleurs. Il est déjà chez nous. J’imagine une telle chaleur dans 10 ans… », s’exprime Raoul.

Une hausse de la consommation énergétique
Les effets de la chaleur se font sentir dans plusieurs, tels que l’énergie électrique. Avec des températures plus élevées, la demande en électricité augmente, principalement due à l’utilisation accrue de la climatisation et de la ventilation. Cette hausse de la consommation entraîne non seulement des dépenses supplémentaires pour les ménages, mais également des défis pour les infrastructures énergétiques. En outre, l’impact de la chaleur ne se limite pas aux aspects économiques. Les maladies, qu’elles soient humaines ou animales, ont tendance à proliférer avec l’augmentation des températures. Le lien entre l’activité humaine et le réchauffement climatique est de plus en plus évident, soulignant l’urgence d’adopter des mesures pour atténuer ces effets néfastes et construire un avenir plus résilient. « En plus de cette chaleur et le niveau d’humidité élevé qui l’accompagne, si la coupure d’électricité doit prendre de longues heures, on a l’impression que ceux qui nous dirigent et qui regardent la chaleur depuis leurs voitures et maisons climatisées, considèrent la grande majorité des Béninois, les pauvres bien évidemment, comme des " moins que rien", des pachydermes. Et pourtant, la chaleur tue et tue déjà dans de nombreux pays. Ça fait également quelques mois que dure cette situation de mal-être. C’est tout simplement un silence de cimetière. J’ai l’impression de n’avoir rien entendu, juste au moins pour alerter et les dispositions à prendre pour réduire les conséquences. Si ce n’est pas fait, les autres l’ont fait à notre place », a fustigé Hubert.

Des alertes aux plans humain et agricole !
Au Togo, l’Agence nationale de la météorologie (Anamet) a alerté le 23 mars 2024 sur l’impact de la chaleur sur la vie quotidienne et surtout agricole. Selon Agniga Kossi Tcha, Chef division en agrométéorologie à l’Anamet, la chaleur dépasse son rôle saisonnier et impacte profondément notre quotidien, notamment en affectant la production agricole et la consommation d’énergie. L’Agence nationale de la météorologie (Anamet) a averti les agriculteurs de la réduction du cycle des cultures cette année due à la chaleur, ce qui compromet à la fois, la quantité et la qualité des récoltes. « Plus il fait chaud, plus le cycle des cultures est réduit puisque la plante, dans sa croissance, a besoin d’une certaine température pour passer d’une phase à une autre. Et donc, lorsqu’il fait plus chaud, ça veut dire que la plante arrive rapidement à boucler son cycle. C’est une maturité précoce et ceci a de l’impact sur la production, que ce soit en termes de quantité ou qualité. En terme de qualité parce que, la température favorise le développement de certains ennemis de culture ou certaines maladies qui impactent, comme les nématodes qui attaquent l’igname et qui font qu’elle pourrit. En fait, c’est aussi l’effet de la température. », a-t-il expliqué. Aussi poursuit-il : « Les situations de cumul pluviométrique déficitaire laissent prévoir des risques de déficit hydrique. Et ce déficit pourrait entraver la mise en place et la croissance des plantes et favoriser le développement des ravageurs de culture. Et, c’est quand il y a ce stress hydrique que la chenille légionnaire d’automne fait beaucoup de dégâts ». De même, l’augmentation des températures favorise le développement de maladies et d’ennemis des cultures, entraînant des pertes de rendements.

Des défis à relever !
L’Agence nationale de la météo a émis plusieurs recommandations pour faire face aux défis climatiques. Il est conseillé d’adopter des pratiques agricoles diversifiées pour faire face à l’instabilité climatique, de favoriser les cultures à cycle court et à haut rendement, et de renforcer la surveillance et la lutte contre les ravageurs agricoles. De plus, il est crucial de promouvoir l’assurance agricole pour atténuer les pertes dues à la sécheresse, de veiller à la sécurité alimentaire dans les zones à risque et d’assurer la gestion rationnelle des ressources en eau. La prévention des inondations est également une priorité, impliquant l’évitement des zones inondables, le curage des caniveaux et la destruction des sites larvaires pour réduire la prolifération des moustiques. En outre, il est recommandé de soutenir l’adoption de techniques climato-intelligentes et d’améliorer l’accès des agriculteurs aux semences améliorées, aux équipements agricoles et aux financements. La diffusion et la communication de la prévision saisonnière aux communautés, notamment par le biais des médias, sont également soulignées comme des mesures importantes pour renforcer la résilience face aux changements climatiques.

Rapport du World Weather Attribution sur la forte chaleur en Afrique de l’Ouest

Le sud de l’Afrique de l’Ouest a connu une chaleur humide inhabituellement excessive en début de saison.

La zone côtière sud de l’Afrique de l’Ouest – également appelée zone de Guinée – a connu une chaleur anormale en début de saison en février 2024. Une combinaison de températures élevées et d’air relativement humide a entraîné des valeurs moyennes de l’indice de chaleur d’environ 50 °C, ce qui est classé comme étant au niveau « danger » qui est associé à un risque élevé de crampes de chaleur et d’épuisement dû à la chaleur. Localement, les valeurs sont même entrées dans le niveau de « danger extrême » associé
avec un risque élevé de coup de chaleur, avec des valeurs allant jusqu’à 60°C (fig. 1).
Les vagues de chaleur humides sont connues pour être particulièrement dangereuses. Alors que les organismes météorologiques du Ghana et du Nigeria ont émis des avertissements, peu d’impacts liés à la chaleur ont été signalés par les médias et les organisations gouvernementales dans toute la zone guinéenne. En février, l’Afrique de l’Ouest a été frappée par une vague de chaleur inhabituellement intense en début de saison, avec des températures normalement rarement observées avant mars ou avril. La chaleur la plus intense s’est produite du 11 au 15 février avec des températures supérieures à 40°C. Au Nigeria, les médecins ont signalé une augmentation du nombre de patients se présentant pour des maladies liées à la chaleur, les gens se sont plaints de troubles du sommeil en raison des nuits chaudes et l’agence météorologique nationale a émis plusieurs avertissements concernant la chaleur. Au Ghana, l’agence météorologique nationale a également averti la population de se préparer à des températures dangereuses. La chaleur s’est produite lors de la finale de la Coupe d’Afrique des Nations (AFCON) de football en Côte d’Ivoire. En raison des conditions chaudes et humides, des « pauses de refroidissement » supplémentaires ont été prises pendant les matchs afin que les joueurs puissent se réhydrater.
Des scientifiques du Nigeria, du Burkina Faso, de Suisse, de Suède, d’Afrique du Sud, des Pays-Bas, d’Allemagne, du Royaume-Uni et des États-Unis ont collaboré pour évaluer si et dans quelle mesure le changement climatique d’origine humaine a modifié la probabilité et l’intensité de cette vague de chaleur humide de février. L’équipe a utilisé des méthodes publiées et évaluées par des pairs pour analyser l’événement. Pour tenir compte de l’humidité, qui augmente les impacts de la chaleur sur le corps humain, l’équipe a analysé l’indice de chaleur, qui tient compte à la fois des températures maximales quotidiennes et de l’humidité relative. L’événement a été défini comme l’indice de chaleur moyen annuel (juillet-juin) maximum sur 5 jours dans une région proche de la côte sud de l’Afrique de l’Ouest (voir Figure 1).

● Des données d’impact très limitées sont disponibles dans la zone étudiée. Cela ne signifie pas qu’il n’y a eu aucun impact, mais suggère une sensibilisation limitée aux risques liés à la chaleur. Pour réduire la morbidité et la mortalité liées à la chaleur dans le sud de l’Afrique de l’Ouest, il est urgent d’améliorer la surveillance et la recherche sur les impacts et les risques associés aux vagues de chaleur.
● L’urbanisation rapide et non planifiée, avec environ la moitié des citadins vivant en moyenne dans des logements informels, rend une partie considérable de la population de la région très exposée et vulnérable à la chaleur extrême. Le déficit énergétique généralisé et l’accès limité à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène (WaSH) et aux services de santé aggravent encore les risques pour la santé liés à la chaleur, car les individus se retrouvent avec des options très limitées pour les stratégies d’adaptation individuelles, telles que la climatisation.
● En janvier et février, la chaleur a affecté les matchs de la Coupe d’Afrique des Nations de football en Côte d’Ivoire. Des pauses de refroidissement de deux minutes ont été introduites de manière proactive aux 30e et 75e minutes de nombreux matches, avec des dispositions prévoyant des pauses supplémentaires pendant les séances afin que les joueurs puissent se réhydrater. L’étude n’a pas identifié de preuves de pauses de refroidissement obligatoires pour les travailleurs extérieurs de la région, qui sont très vulnérables aux vagues de chaleur.
● Dans le sud de l’Afrique de l’Ouest, le maximum de chaleur humide sur 5 jours se produit généralement en mars ou avril. La chaleur humide mesurée à l’aide de l’indice de chaleur a atteint un niveau record en février par rapport à la moyenne annuelle (survenant généralement en mars/avril), mais encore plus si l’on considère qu’elle s’est produite dès février.
● Les ensembles de données basés sur des observations caractérisent la chaleur humide moyenne sur 5 jours de la région comme un événement survenant tous les 10 ans dans le climat actuel.
● Pour estimer l’influence du changement climatique d’origine humaine sur cette chaleur humide excessive, nous utilisons une combinaison de modèles climatiques et d’observations. Nous constatons qu’en raison du changement climatique induit par l’homme, l’indice de chaleur moyen par zone est aujourd’hui environ 4°C plus élevé dans le climat actuel plus chaud de 1,2°C. En outre, une telle chaleur humide est devenue beaucoup plus probable, elle est au moins 10 fois plus probable dans le monde d’aujourd’hui.
● À des températures moyennes mondiales de 2°C au-dessus des niveaux préindustriels, la chaleur humide telle que celle observée cette année devrait être d’environ 1,2°C à 3,4°C plus chaude et environ 3 à 10 fois plus probable, ce qui signifie une température similaire. les événements se produiront environ une fois tous les deux ans.

● Malgré des données et des recherches limitées, les services météorologiques nationaux (par exemple au Nigéria) et les autorités municipales (par exemple à Freetown, en Sierra Leone) sont de plus en plus conscients des risques liés à la chaleur. D’autres améliorations et investissements sont nécessaires, comme l’extension des alertes de chaleur aux jours chauds en dehors de la saison généralement chaude. Cela est d’autant plus urgent que la planète continue de se réchauffer, provoquant des saisons de chaleur prolongées et plus chaudes.
● Cependant, parmi les pays analysés, beaucoup ne semblent pas avoir procédé à une planification en cas de chaleur extrême. Des investissements majeurs sont nécessaires en Afrique pour renforcer la résilience face aux chaleurs dangereuses. L’ONU a estimé que le coût de l’adaptation pour les pays en développement se situerait entre 215 et 387 milliards de dollars par an au cours de cette décennie. Cependant, les pays riches n’ont pas encore tenu les promesses qu’ils ont faites d’aider les pays en développement à devenir plus résilients face aux risques croissants du changement climatique. En outre, ces engagements sont nettement inférieurs au financement requis : en 2021, la communauté mondiale n’a dépensé que 21 milliards de dollars pour aider les pays en développement à s’adapter au changement climatique.



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