VOIX D’HOMME : Amour Dieu-donné Vodounhessi : « Il nous faut incarner le changement que nous prônons »

16 mars 2023

Point focal jeune du Partenariat de Ouagadougou et Family Planning 2030 au Bénin, Amour Dieu-Donné Vodounhessi est un jeune activiste défenseur des Droits en santé sexuelle et de la reproduction. Juriste en master de management de la qualité et des projets, celui qui a été distingué en Décembre 2021 par l’Ambassadrice du Royaume des Pays-Bas près le Bénin pour son combat en faveur de l’égalité genre parle ici de la femme béninoise.

Quelle est selon vous, la place de la femme dans la société béninoise actuelle ?

Référence faite au passé, je peux dire que la place de la femme s’améliore de plus en plus. Avant, les droits des femmes n’étaient pas reconnus. Il a fallu l’engagement de certaines femmes qui ont compris qu’il leur fallait lutter pour libérer les générations de femmes à venir afin qu’elles jouissent de leurs droits autant que les hommes. Il faut le rappeler hommes et femmes sont égaux en droits. Quand je revois la situation de la femme en 2015 au début de mon activisme pour l’égalité genre, je peux dire que les choses avancent. Il est vrai qu’on dit que tant qu’il y a faire, rien n’est fait. Néanmoins, beaucoup de choses sont faites. Même en tant que membre de la société civile, il faut reconnaître et saluer les actions courageuses et fortes du pouvoir exécutif actuel notamment à travers ses propositions de lois adaptées à la protection et à la promotion des droits de la femme. C’est un mérite pour notre pays le Bénin. A cela s’ajoute la création de structures comme l’Institut national de la femme. Toutes ces actions profitent aux femmes et à leurs droits car aujourd’hui, les gens réfléchissent longtemps avant de porter atteinte à leurs droits. Si atteinte il y a, les réactions et les sanctions de toute la chaîne de défense sont promptes et énergiques. Persévérer dans cette synergie d’actions continues et sans relâche, entre le public et le privé, est ce qui va conduire à des résultats encore plus impactants dans quelques années.

Pensez-vous que la femme qui émerge davantage et vient à la lumière, est exposée à des menaces ?

Je le pense. En dépit de la volonté politique notoire, nous ne devons pas négliger un fait très important : le changement se crée à la base. Dans nos communautés, il y en a qui résistent et voient encore d’un mauvais œil une femme qui prend la parole, une femme qui décide de ce qui est bien pour elle-même, une femme qui veut se faire entendre dans les cercles de décision. Dans la sphère politique, dans les entreprises et même dans l’expérience de vie de couple, le harcèlement, la pression, la manipulation sont des menaces qui guettent les femmes. Simplement parce que dans les mentalités à la base, l’égalité genre n’est pas possible. On se réjouit aujourd’hui d’avoir 29 femmes à l’Assemblée nationale de notre pays mais cela aurait-il été possible sans les réformes qui se sont imposées aux partis politiques ? Cela laisse à penser que ces femmes ont été positionnées non par conviction mais plus par contrainte. Il faut qu’on en arrive à promouvoir les femmes véritablement pour leur leadership et leurs compétences et non par une espèce de favoritisme. Pour l’heure, c’est nécessaire et utile…mais à la longue, il faut que les générations à venir puissent inclure les femmes sans complexe.

Que faites-vous en tant qu’activiste pour booster ce changement de mentalité que vous avez souligné ?

En tant que pair éducateur, le travail que j’ai toujours fait est de communiquer et de sensibiliser. Il revient à porter aux communautés à la base le message des politiques élaborées au niveau national. Lorsque récemment les lois portant sur les violences commises à raison du sexe ont été votées ; nous avons été dans plusieurs départements de notre pays pour sensibiliser les leaders religieux, les leaders communautaires, les parents et les jeunes sur le contenu de ces lois et les changements qu’elles impliquent. Au sein du mouvement d’action des jeunes que je dirige et coordonne en Afrique de l’Ouest Francophone, c’est aussi une obligation mensuelle d’aller sensibiliser les jeunes de ma communauté sur le genre, l’éducation sexuelle, le dialogue parent-enfant et tout ce qui concerne les droits des filles. Ce sont des actions que nous menons aussi via les canaux digitaux. Nous menons aussi beaucoup de plaidoyers aux niveaux local et national. Une action importante qu’il faut mentionner est que nous travaillons à incarner et à vivre nous-mêmes au quotidien, le changement que nous prônons. C’est un exercice que je me suis donné et je pense que c’est la meilleure façon d’amener les autres à changer.

Avez-vous des activités spécifiques pour les plus jeunes (les pré-adolescents) afin d’instaurer ce changement de mentalité ?

À l’Association Béninoise pour la Promotion de la Famille (ABPF), nous avons compris que chaque cible est particulière et a ses besoins spécifiques. C’est pourquoi nous avons élaboré des outils de sensibilisation adaptés aux adolescents. Parallèlement à mon engagement d’activiste, je suis Coach en Développement Personnel et cela m’aide à accompagner les adolescents. Nous mettons aussi un point d’honneur à expliquer aux parents la nécessité de ne pas différencier l’éducation donnée aux filles de celle donnée aux garçons. Tous doivent être éduqués à faire les mêmes tâches. Cela prépare leur esprit à ne pas faire de distinctions qui nourrissent les discriminations et les violences faites aux femmes.

Face à l’hostilité que vous aviez soulignée plus haut, pensez-vous que les femmes y contribuent dans certaines manières de mener la lutte pour la promotion de leurs droits ?

J’adopte une position à double tranchant. Rien ne devrait justifier de la violence à l’égard d’une femme. Rien du tout ! En revanche, je pense que quel que soit ce que l’on fait et qui on est, il faut de la remise en cause. Dans ce sens, il faut véritablement que les femmes incarnent et vivent le changement qu’elles prônent : avoir le courage de dénoncer les atteintes aux droits de la femme dans son environnement immédiat et se former en visant l’excellence dans son travail. La promotion des droits de la femme ne rime pas avec valorisation de la médiocrité. Les femmes doivent se former car la connaissance procure le pouvoir. C’est le meilleur moyen de se positionner. En ce sens, toutes les femmes leaders qui se démarquent par leur expertise et leur excellence sont à saluer. Par ailleurs, l’attitude des femmes qui s’attendent à être prises en charge par les hommes crée leur dépendance vis-à-vis d’eux et renforce leur vulnérabilité en tant que femme. Elles devraient chercher à renforcer leurs capacités dans tous les domaines et à être autonomes.

La lutte pour la promotion des droits de la femme est souvent sentie comme un combat des femmes contre les hommes. Qu’en pensez-vous ?

Il est vrai que certaines femmes sont des féministes radicales. J’en ai rencontrées qui m’ont même dit qu’un homme ne peut être féministe si ce n’est allié féministe à la rigueur. C’est une mauvaise perception de la lutte qui en fera une cause perdue d’avance pour celles-là qui le voient ainsi. Même si les hommes sont les principaux auteurs des violences, la meilleure stratégie pour éradiquer ces violences est de les impliquer pour finalement en faire des alliés. C’est en le faisant qu’on arrivera à leur changer de mentalité. Nul ne doit être écarté. On dit souvent que la meilleure façon de faire cesser le vol est de responsabiliser le voleur. Le féminisme, c’est tout ce qu’on pense et fait pour rendre possible l’égalité homme-femme. S’opposer frontalement aux hommes ne produira pas de bons résultats. Les résultats de celles-là qui le font, l’illustrent très bien. Les hommes ne sont pas à mettre de côté, encore que tous ne sont pas violents. Les rallier à la cause revient à impacter positivement toutes les communautés que portent ces hommes.

Pensez-vous que les réseaux sociaux influencent les mouvements de lutte pour la promotion des droits de la femme ?

Enormément ! En bien comme en mal. Autant ils aident à porter loin le message de promotion de la femme, à atteindre un grand nombre de personnes en un temps record et à différents endroits simultanément, autant ils menacent les droits de la femme car deviennent des espaces à hauts risques pour l’intimité des femmes. La méconnaissance même des textes en vigueur fait que les publications, les commentaires exposent et agressent davantage les femmes (que les hommes). L’exemple de la journaliste Angela Kpéidja me vient à l’esprit. L’acharnement dont elle est sujet, est tel qu’une autre femme à sa place, pourrait déjà recourir à un psychologue afin de gérer la situation.

Que pensez-vous de la dot ?

J’ai toujours pensé que la dot est un moyen de maintenir la femme dans un état de vulnérabilité. Je la vois comme un moyen de faire passer la femme de propriété de sa famille à propriété de son mari : c’est comme si, la femme est un objet qui change de main. Je dis qu’on ne peut ni voir ni traiter la femme ainsi. Depuis le passé, la dot a été considérée comme un laisser-passer pour l’homme de disposer de la femme selon son bon vouloir. Cela a donné libre cours à toutes sortes de violences qu’ont subies les femmes dans le mutisme de leurs propres familles. Il est couramment dit qu’il faut traiter comme un œuf une femme non dotée et faire ce qu’on veut d’une femme dotée. Alors, j’en arrive à me demander : est-ce une bonne pratique ? N’est-ce-pas un moyen de domination de la femme par l’homme. Je pense que si dans l’évolution des choses, il faut en arriver à ce que les femmes dotent les hommes, il faut le faire. Personnellement, en dotant ma femme, je considérerai juste que je fais un geste symbolique.
Avez-vous vécu une situation de frustration ou de discrimination basée sur le genre ?
Ce que j’ai vécu a été un harcèlement sexuel. Oui, il n’y a pas que les hommes qui harcèlent. Les femmes aussi harcèlent les hommes. Cette femme qui a voulu de moi est plus âgée et avait une meilleure situation financière comparée à ma situation d’étudiant d’alors. Entretenir une relation avec elle, ne m’a pas intéressé. Cette femme en est arrivée à user de menaces, de photo-montages, d’intimidations par personnes interposées. Cette situation a duré 03 mois et je me suis résolu à dénoncer. Je peux vous dire que comme moi, des jeunes hommes vivent des situations similaires ou de chantage même sur leurs lieux de travail ou en couple qu’ils taisent. Simplement parce que la société ne reconnait pas à l’homme le droit d’exprimer son ressenti : il doit toujours paraitre fort. J’ai connu des hommes battus par leurs femmes qui en ont souffert en silence sans pouvoir s’en ouvrir à qui que ce soit.

Que diriez-vous :
à votre futur beau-père si vous l’aviez devant vous ?

Je profite pour souhaiter la félicité éternelle au mien. Si je l’avais devant moi, je le féliciterais pour avoir si bien élevé ma compagne. Je lui décernerais un trophée pour avoir formé cette femme qui m’aide à vivre mon plein potentiel, qui me fait confiance et ne se laisse pas troubler par les remarques sur le compagnon féministe que je suis. Je le remercie de m’avoir signifié très tôt la valeur de sa fille.

- à votre patronne qui vous harcèle sexuellement ?

Quand on a souffert le chômage et qu’on a fini par trouver un emploi, c’est difficile d’y renoncer. Pour autant, ce n’est pas qu’il faut céder. Je rappelle que le harcèlement sexuel n’a pas de visages. Des dispositions légales existent et qui permettent de dénoncer le harceleur (homme ou femme), même anonymement dans des structures comme l’Institut national de la femme. C’est ce pourquoi il importe de connaitre les textes pour mieux faire respecter nos droits et connaitre nos devoirs. Personnellement, dans un environnement devenu toxique, je démissionnerais et m’assurerais de faire aboutir ma plainte.

Propos recueillis par Fredhy-Armel BOCOVO (Coll)



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