Regard d'homme sur la femme : Gaston Kabore, sans langue de bois

7 mars 2024

César du Meilleur Film Francophone en France en 1985 et Etalon de Yennenga grand prix du Festival de Ouagadougou en 1997, Gaston Jean-Marie Kabore a été membre des jurys officiels long métrage des plus grands festivals internationaux de cinéma du monde : Locarno (1989), Venise (1994), Cannes (1995), Berlin (2009), FESPACO (2009). Cinéaste burkinabè engagé, le dernier ouvrage collectif sur le cinéma africain dont il a dirigé la publication date de 2021. Fondateur de l’Institut IMAGINE à Ouagadougou qu’il dirige depuis sa création en Fevrier 2003, le fils de Bobo Dioulasso ne prétend pas que les femmes sont des anges mais il les trouve meilleures aux hommes.

Frédhy-Armel BOCOVO (Coll)


Une lettre ouverte à la femme (l’homme)
J’aurais aimé être capable de savoir, de sentir, de ressentir, de comprendre, d’imaginer, de réaliser, d’appréhender ce que c’est que d’être femme.
J’aurais aimé être dans son corps, son cœur, sa raison et son âme.
J’aurais aimé pouvoir m’introduire dans son intelligence, sa sensibilité, ses rêves, ses cauchemars, ses craintes, ses incertitudes, ses effrois, ses illusions et ses désillusions, ses déconvenues et ses lassitudes, ses ahurissements et ses peurs.
J’aurais voulu avoir sa force, sa puissance, son pouvoir, sa générosité, sa magnanimité, sa dignité, son sens du devoir et de la responsabilité, son intégrité, sa foi en l’autre, son attachement, sa fidélité, sa patience, sa résistance.
Mais, je ne suis qu’un homme, héritier goulu de tout ce que « l’être homme » a bâti comme barrières, comme lois, comme stratagèmes, comme pièges et prisons, tout au long des millénaires pour empêcher que la femme occupe pleinement la place qui devrait lui revenir ; non seulement, j’ai embrassé l’héritage négatif qui m’a été transmis mais j’ai contribué à le perpétuer partout sans culpabilité ni remords, sans vergogne, sans pitié ni humanité.
Bien au contraire, en tant qu’homme, j’ai tiré avantage de tout cela sans percevoir dans quelle profonde indignité je me vautrais et dans quelle pitoyable arrogance je me pavanais sans compassion pour la femme victime.
J’ai appris bien au contraire, à me fondre sans remords dans l’hypocrisie scintillante de crasses, de mensonges, de tromperies, de mépris, de dédains, de défiances, de méfiances et de fourberies des hommes à l’égard de cette FEMME dont ils jalousent le mystère, la volupté, la grâce, le pouvoir, la puissance et dont ils n’ont de cesse que de comploter contre celle dont ils tiennent la vie et au sujet de laquelle, ils n’ont que des projets de soumission, de possession, d’appropriation, d’assouvissement de leurs désirs charnels et de leurs appétits mercantiles, lesquels les poussent inlassablement à la transformer chaque fois que cela les arrange, en chose et en objet. En chœur avec tous les « êtres hommes ordinairement standardisés », je prétends qu’il n’y a rien qui m’est plus cher que ma mère et j’entends tous mes compères criminels et féminicides répondre en échos « ma mère est tout pour moi », alors que dans l’instant d’après, nous les hommes, dans notre ensemble, sommes capables de toutes les ignominies, de toutes les lâchetés, de toutes les tortures, de toutes les trahisons, de toutes les perversions, de toutes les manipulations, de toutes les impitoyabilités à l’endroit de notre mère, la FEMME.
Mieux, nous avons l’outrecuidance de créer des concepts pour nous racheter à bas prix : le droit des femmes, l’équité homme-femme, le genre, la représentation paritaire, la protection des femmes, les violences basées sur le genre, la scolarisation des filles, la journée internationale de la femme du 8 mars. Au-delà de cela, il y a des légendes faciles, des petites histoires gentilles, des affirmations légères, des arrangements de toutes sortes avec notre conscience, des contritions éphémères et des autoflagellations dérisoires qui voudraient faire croire que les hommes sont prêts pour changer profondément les choses quant à leurs rapports injustes aux femmes, si empreints de fausseté et de brutalité, de sournoiserie et de traitrise.
En lisant ces lignes que je me suis vu forcer d’écrire, par honnêteté, beaucoup d’hommes, si ce n’est l’immense majorité de la gent masculine, crieront « à l’hypocrite, au traitre ! » et n’accepteront pas ce qu’il y a de vrai dans ce qui est dit car ils tremblent à l’idée qu’un changement de fonds puisse advenir. J’accepte leur quolibet et je comprends leur terreur mais n’est-il pas temps que l’orgueil futile des hommes s’apaise et qu’ils arrêtent leur persécution aveugle et débile contre l’autre moitié de l’humanité ?
Je ne prétends pas que les femmes sont des anges, elles sont des êtres humains tout comme nous, mais elles sont tellement meilleures que nous les hommes. J’en suis personnellement convaincu et je me demande pourquoi elles tardent à sonner la révolte qui leur permettra d’instaurer un ordre plus juste, plus solidaire, plus humain et plus fondamentalement aimant.
Il se peut qu’aux yeux de certains, mon écrit paraisse un pathos naïf et misérable mais je l’assume car j’ai toujours voulu parier que je grandirai en étant plus juste et plus solidaire avec l’Autre.

Gaston Jean-Marie KABORE



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