VOIX DE FEMME : « Les femmes ne sauraient se promouvoir toutes seules », dixit Inès Facia

30 mars 2023

Figure emblématique du petit écran dans son pays le Bénin, Inès Facia est la fondatrice de l’Ong Reporter Junior et promeut Kidexpo Bénin, le plus grand salon de l’enfance au Bénin, depuis décembre 2018. Officier de l’ordre national du mérite de son pays depuis 2011, celle qui porte haut le drapeau béninois en tant que chroniqueuse sur l’émission panafricaine ‘’le Chœur des femmes’’ parle ici de la femme.

Quelle est selon vous, la place de la femme dans la société béninoise actuelle ?

La situation de la femme au Bénin est presque la même que partout ailleurs. Même si les luttes féministes sont venues remettre en cause le fonctionnement de nos sociétés séculaires voire multiséculaires, on constate dans nos contrées, dans nos villages et villes que les stéréotypes sur la femme sont encore très ancrés dans les normes de nos traditions patriarcales. La vision très maternelle de la femme reste prédominante. Elle est la gardienne qui perpétue la tradition. Sur ce point, l’exemple des cérémonies de dot est très illustratif. En politique par exemple, plus le niveau de responsabilité monte, moins il y a de femmes.
Il n’est pas facile de défaire des habitudes vieilles de plusieurs siècles mais des avancées commencent par se dessiner. On comprend mieux aujourd’hui que la femme est un maillon actif pour le développement économique de la société. Elle n’est plus vue seulement comme celle qui enfante. Elle s’affirme davantage comme soutien à l’économie.

Dans le cadre de la lutte pour la promotion des droits de la femme, pensez-vous que les hommes ont un rôle à jouer ?

C’est vrai que leur implication est souvent minimisée mais les hommes restent des alliés de taille même si au plan démographique, ils sont minoritaires. L’humanité étant faite de deux genres, les hommes sont nos alliés naturels et les femmes ne sauraient se promouvoir toutes seules. Ce sont les hommes qui occupent les grands postes de décision. Quand un chef d’entreprise, un chef d’Etat ou un homme de pouvoir prend des décisions pour promouvoir la femme ou l’équité genre, cela imprime du changement, de l’amélioration et devient immédiatement un acquis. Nous ne devons plus sous-estimer la participation des hommes dans la promotion de la femme. Nous devons collaborer avec eux. Les hommes aussi y gagnent en sérénité et en santé quand les femmes sont épanouies et impactent positivement la cellule familiale, la société et l’économie.

Selon vous, que craignent les personnes hostiles à l’émancipation de la femme ?

Je ne sais quoi répondre car je pense qu’il n’y a rien à craindre de l’émancipation de la femme. On pourrait penser que les hommes ont peur de perdre le pouvoir ou le contrôle. Toutefois, l’humanité a tout à gagner à promouvoir les femmes. Si de plus en plus dans la résolution des conflits, les Nations-Unies promeuvent l’implication des femmes pour la médiation, c’est bien parce que la femme incarne des valeurs fiables et pacifiques.

Que pensez-vous de l’égalité genre ?

Je pense que nous ramons souvent à contre-courant. La notion d’égalité genre demande que les choses soient précisées. L’égalité homme-femme est une égalité en droits tels que prévus par la loi. Je pense fondamentalement que les questions d’égalité homme-femme doivent être basées sur le genre d’une façon valorisante.
Savez-vous pourquoi homme et femme ne concourent pas simultanément dans les mêmes disciplines sportives ? Parce que l’homme est capable de beaucoup plus de force que la femme, en raison de son plus grand taux de globules sanguins qui déterminent la force des muscles du corps. Sur cette base, les femmes seront défavorisées si hommes et femmes étaient amenés à compétir simultanément dans les mêmes disciplines. Je pense vraiment que l’égalité doit tenir compte de la différence du genre. Je ne parle pas de réduire un genre à l’esclavage et de consacrer l’autre à la superpuissance. Il y a peu, des nations ont accordé aux femmes le droit à des congés pendant leurs menstrues qui ont été reconnues comme une réalité souvent limitante pour les femmes. C’est une belle avancée qui étaye la nécessité de tenir compte de la différence des genres. Il faut tenir compte de la constitution de l’homme et de la femme en accordant à l’un et à l’autre des privilèges spécifiques pour l’épanouissement de l’un et de l’autre en société.
Avec le parcours qui est le vôtre, avez-vous vécu des situations frustrantes simplement parce que vous êtes une femme ?
Dans ma vie de tous les jours, je ne suis pas soumise à la discrimination basée sur le genre. Les gens sont avenants et délicats avec moi peut-être parce qu’ils me voient comme Tata Inès, la tata des enfants. Ceci étant, il y a un fait de mon enfance que je voudrais partager. Petite, mes frères et sœurs, cousins, cousines et moi nous retrouvions pendant les vacances scolaires chez ma grand-mère paternelle. Nous jouions beaucoup mais dans l’après-midi, venait une heure où nous les filles étions détachées du groupe par un oncle ou une tante pour vaquer aux tâches domestiques. Déjà à l’époque cela me frustrait. Je ne comprenais pas pourquoi les filles seules devaient se soustraire à ces moments de plaisir pour s’occuper des tâches ménagères (puiser l’eau, aider à la cuisine) alors que les garçons pouvaient continuer à jouer. Je pense que les garçons eux-mêmes ressentaient la différence après le départ des filles. Les jeux n’étaient plus aussi divertissants quand le nombre de participants diminuait. Un jour, lorsqu’une tante est venue chercher les filles, j’ai proposé aux garçons de se joindre à nous afin de finir plus vite et revenir jouer tous ensemble. Les garçons plus grands prenaient l’eau au puits et la distribuaient dans les puisettes des filles qui les transportaient jusqu’aux jarres où elles les vidaient. C’est une expérience qui m’a marqué et m’a fait réaliser qu’on peut passer outre les stéréotypes sur le genre que porte l’éducation. Je ne juge pas mes aînés car ils n’ont fait que transmettre ce qu’ils ont reçu.

Que diriez-vous :

- à votre fille de 23 ans qui vient de démarrer un stage dans un organe de presse ou une entreprise de communication ?

Je lui dirai de foncer, de travailler dur en visant l’excellence. Seul le travail bien fait et avec abnégation change en bien le regard des autres sur soi et suscite leur respect. Aujourd’hui que le diplôme est devenu courant et commun, on doit viser l’excellence pour se démarquer par sa plus-value afin de porter le choix du recruteur sur soi.

- à une mère de famille professionnellement active ?

Je lui dirai de rester digne. La dignité n’est pas un mot banal. Elle vaut son pesant d’or. Elle est appelée à être un modèle pour ses enfants et à leur transmettre des valeurs morales. Le constat actuel au Bénin comme partout ailleurs, est que les mères professionnellement actives ont tendance à se laisser absorber par le travail et à délaisser leurs enfants. Livrés aux soins des employés ou à de tierces personnes, les enfants sont exposés au viol, aux attouchements et aux vices ; leur éducation échappe alors aux mères. Une mère professionnellement active doit être organisée. J’insiste sur l’organisation. Elle le doit pour apporter à ses enfants sa présence qualitativement. Je ne parle pas de la ‘’quantité’’ de temps qu’elle passe avec eux mais plutôt de sa qualité. Elle en est capable car la femme sait s’occuper de mille choses à la fois. Les femmes y arrivent mieux que les hommes.

- à une veuve endettée, sans travail et sans soutien avec des enfants à charge et à qui des propositions indécentes sont faites ?

Je lui dirai qu’elle est adulte. Je lui dirai de faire selon sa conscience. Je ne juge personne car chacun est responsable des actes qu’il pose. Si elle veut dire OUI à ces propositions, qu’elle le fasse et l’assume.

Propos recueillis par Frédhy-Armel BOCOVO (Coll)



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