VOIX DE FEMME : Sèdami Medegan Fagla à coeur ouvert

4 mars 2024

Docteur en Chimie Organique et Maître de Conférences, Sèdami Medegan Fagla enseigne à l’université d’Abomey-Calavi depuis 2013. Elle est une Béninoise éperdument éprise de sa patrie. Actuelle Directrice de l’Institut parlementaire du Bénin, la fille de Jérôme et de Valentine est convaincue que le pouvoir politique est l’ultime instrument à notre disposition pour changer le destin des peuples, pour changer le monde.

Dans une lettre ouverte,
A ma grand-mère maternelle, Jeanne Adechina Epouse Kiki
Lorsqu’il m’a été suggéré d’adresser une lettre sur le sujet ici abordé à une personne de mon choix, j’ai sans aucune hésitation pensé à toi, grand-maman, car j’ai une conscience accrue du fait que je suis la résultante de tous tes sacrifices et de tes ambitions frustrées. J’ai l’habitude de dire que tu serais née en notre temps que tu aurais été une redoutable actrice politique et que tu aurais marqué ton temps pour des générations. Malheureusement, dans les années 30, 40, 50, 60 voire au-delà encore, la femme devait déjà s’estimer heureuse d’avoir eu le privilège d’être inscrite à l’école et d’avoir atteint le niveau CEP comme ce fut ton cas. De plus, en ces années, la femme devait obtenir la permission de son mari pour exercer le moindre emploi. C’était un temps, une époque dont on se tromperait de penser trop tôt, trop vite, que les mœurs, la perception du rôle et de la place de la femme dans la société d’alors sont différentes, d’une autre époque, d’un autre âge. Car, grand-maman, ce que nous appelons pesanteurs culturelles, subsistent encore en 2024.
La petite expérience dont Dieu m’a gratifiée aujourd’hui au contact de la politique me permet non seulement de dire que les pesanteurs sociales sont toujours très présentes et que cette place, ce rôle que la société toute entière a dédié à la femme sont ancrés dans les consciences collectives de façon fort profonde. En effet, même pour celles qui ont eu la grâce comme moi d’avoir échappé aux conséquences de ces règles établies par la société pour les femmes dans le petit cercle familial très protecteur, je puis t’affirmer aujourd’hui que lorsque nous sortons du cocon familial et que nous devons commencer à interagir avec la société, nous devons nous battre davantage que les hommes pour nous faire accepter dans les cercles politiques y compris de nos jours, en 2024. Nous devons prouver à chaque instant que nous disposons des ressources intellectuelles, physiques et mentales pour convaincre les hommes que nous pouvons exercer le pouvoir à leurs côtés tels leurs égaux.
Oui grand-maman, laisse-moi te conter que tout n’est pas rose malgré tes prières, tes larmes... Laisse-moi te dire que lorsqu’une femme arrive à monter les marches, elle hérite des pires qualificatifs et procès d’intention de la part de la société, parce que son intelligence joue aux yeux de tous forcément un rôle mineur dans sa progression.
Laisse-moi te compter grand-maman que lorsqu’une femme arrive dans ce milieu, elle découvre des formes de violence, aussi traumatisantes que la violence physique, qui sont : la violence verbale, la violence des menaces et insultes, la violence des jugements de valeur, la liste est nonexhaustive.
L’une de mes expériences marquantes (il y en a tellement) grand-maman, est celle-ci : lorsqu’une femme se retrouve à émettre son opinion sur une question posée dans un cercle de pouvoir totalement masculin, cette opinion est soit totalement ignorée, soit vertement critiquée par ses collègues, qui s’acharnent à lui démontrer combien elle a tort, jusqu’à la seconde où un autre personnage de sexe masculin reprenne quasiment mot pour mot les mêmes idées. Et là, grand-maman, je suis chaque fois émerveillée de noter le phénomène qui se produit comme par magie qui se caractérise par la différence de réactions de ses autres collègues masculins en termes de soutien et d’adhésion à la même idée qui fut combattue quelques minutes plus tôt car émise par cette frange qui n’a pas le droit de parler. Tout ceci, ils ne le font pas exprès grand-maman, ils ne se rendent même pas compte de ce qui se déroule car c’est ainsi. C’est triste de le dire mais c’est tout simplement naturel.

Le pouvoir politique est celui-là qui a le rôle dans toutes les sociétés du monde de réfléchir et de mettre en œuvre des solutions pour changer le destin des peuples.
J’ai l’habitude de dire que la société a eu suffisamment confiance en la femme pour lui confier, céder, dédier, le rôle majeur d’éduquer et de faire grandir nos enfants dans les meilleures conditions, entourés des valeurs les plus fortes et les plus dignes afin de garantir notre avenir commun. Car nos enfants sont nos investissements les plus précieux, les plus rentables dans la mesure qu’à travers eux, tout ce que nous nous battons pour réaliser a un sens, puisqu’ils sont l’espoir de notre durabilité, de notre continuité garantie, de notre avenir et plus encore, de notre éternité.
Alors, comment expliquer grand-maman qu’une société ou des sociétés, qui confient ce rôle majeur à la femme ne devine pas instinctivement que c’est bien parce qu’en elle réside le pouvoir de changer le destin des peuples ? Oui, qui élève, éduque nos enfants est cette personne qui détermine le sens de notre avenir commun et qui donne à ce dernier une forme, un fond et toute sa valeur. Si les femmes avaient si peu d’aptitudes aux yeux de la société pour décider aux cotés des hommes de notre destin commun, comment se fait-il que la société entière lui confie alors, sans hésitation, avec la confiance la plus totale, l’éducation de l’expression la plus puissante, la plus importante et la plus déterminante de notre destin qui est bien nos enfants ?
Enfin grand-mère, tout ceci et bien plus encore, je le constate de ma position et ici à la veille du 08 mars 2024, je souhaite te promettre qu’en tant que mère et éducatrice, je ne me lasserai pas de continuer à prouver à la société entière que je suis capable et que ma condition biologique féminine est plutôt le gage suprême que je possède une multitude d’aptitudes toutes pouvant contribuer à l’amélioration de notre destin commun. Si cela peut contribuer à permettre à la génération future de jeunes filles de grandir dans une société allégée des pesanteurs, afin qu’elles appartiennent librement et fièrement aux dirigeants et aux décideurs de demain, nous continuerons à mener le combat.
Grand-maman, laisse-moi terminer sur une note rassurante, car l’espoir est permis. Il l’est parce qu’ils sont de plus en plus nombreux, ces hommes, à comprendre et à se battre avec nous, à nous laisser de la place à leurs côtés.
Je remercie mon arrière-grand-père, ton papa, pour t’avoir mise à l’école, et pour t’avoir laissé obtenir l’un des niveaux d’éducation les plus importants de l’époque, le CEP.
Je remercie mon grand-père maternel pour avoir mis ma mère à l’école et s’être assuré qu’elle devienne l’un des plus brillants médecins de la République.
Je remercie mon père, pour m’avoir éduquée comme un individu normal sans distinction entre mes frères et moi !! Aujourd’hui, je comprends qu’il est le meilleur des pères qu’une fille peut rêver avoir, même en 2024.
Sans le savoir, (où le savaient-ils ? je ne saurais le dire) ces hommes avaient déjà posé à leurs niveaux les graines de la lutte pour l’amélioration des droits de la femme dans la société béninoise.

Awoyogbé Sèdami Romarique MEDEGAN FAGLA



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