Secrétaire exécutive de l’Institut national de la femme, Huguette Bokpè Gnacadja est une avocate béninoise passionnée par la défense des droits de la femme. Ancienne avocate d’affaires, celle qui a été reçue dans la légion d’honneur française le mercredi 15 février 2023, parle ici de la femme béninoise.
Quelle est votre appréciation de la place de la femme dans la société béninoise actuelle ?
Dans la société béninoise actuelle, le positionnement de la femme est à double vitesse. En ville et en zone urbaine, je dirai qu’elle joue un rôle important dans tous les domaines. Je ne parle pas de statistiques car même si les femmes ne sont pas nombreuses partout, elles sont quand même présentes. Il y a quand même des secteurs clés comme ceux de la vie publique et politique dans lesquels nos configurations socio-culturelles (de femme au foyer) ne leur font pas beaucoup de place. Le constat est le même en zone rurale. Les femmes sont présentes mais sont peu présentes dans les sphères de décision. Heureusement avec la réforme de la décentralisation, on compte un peu plus de femmes dans la gouvernance locale.
Dans la sphère privée, peu de femmes ont un pouvoir de décision. Très présentes en agriculture et dans l’artisanat, elles le sont très peu dans les structures décentralisées et autres. Pourtant, quand les femmes interviennent dans les instances publiques et politiques de décision, elles plaident beaucoup plus pour les intérêts du plus grand nombre, des plus vulnérables (les handicapés, les personnes du 3ème âge, les beaux-parents, les enfants …) et de toute la communauté. C’est le propre de la femme, ce qui la rend complémentaire à l’homme. Quand toutes les économies s’effondrent, ce sont les femmes qui par une espèce de magie et de débrouillardise, font tenir les ménages et chauffer les casseroles.
Il est courant d’entendre les femmes dire « La terre tue » car elles n’ont pas droit de cité quand surviennent les litiges domaniaux. C’est une réalité. Il y a des considérations spirituelles qui entrent en ligne de compte. Ne nous voilons pas la face ! Pour prémunir leurs vies, les femmes renoncent simplement à leurs droits successoraux sur la terre.
Aujourd’hui, dans un contexte de développement inclusif qui ne laisse personne en rade, on a compris et bien intégré que la place de la femme est prépondérante, et le programme d’actions du gouvernement fait du renforcement du capital humain, en particulier les femmes et les jeunes, le moteur de la croissance économique. Une transformation sociétale est en route. Cependant, la situation était différente quand on interroge le passé. Autrefois on ne pouvait prendre de grandes décisions sans consulter les Nan. Dans la fonction qui est la mienne aujourd’hui, j’ai rencontré les gardiens de la tradition pour leur signifier que notre souhait est de tenir la loi d’une main et les ingrédients de nos traditions, pratiques et histoires en faveur des femmes de l’autre main. J’ai été bien reçue. Il faut savoir que nos sociétés valorisaient les femmes même sur le plan cultuel. Il est temps que revivent toutes ces valeurs. En cela, le vent des Agoodjié qui souffle en ce moment est bénéfique. Il rappelle que nous disposons de sources et de ressources promotrices des droits de la femme. Mon rêve est que cela resurgisse et que les femmes retrouvent leurs places qui contribuaient à un certain équilibre sociétal. Le viol n’est pas béninois, aucune de nos cultures ne la promeut. Qu’on cesse de le mettre sur le compte des pesanteurs socio-culturelles. Nos cultures n’étaient pas un poids. Si on les pointe du doigt c’est qu’elles sont devenues un poids parce qu’on a trahi leur essence véritable ; il faut en enlever les scories.
Qu’est ce qui fait que la femme a été déchue de la place prépondérante qui était la sienne par le passé ?
Je n’aime ni geindre, ni accuser la colonisation. Je me réfère néanmoins à mes lectures pour dire que la période coloniale a relégué à l’arrière-plan les femmes qui étaient autrefois en avant du secteur commercial, par exemple. Elle a conforté l’idée de femme Xwesi (réservée pour la maison). La consultation du coutumier du Dahomey, premier code ‘’indigène’’ situe bien sur l’idée que l’on se faisait de la femme : elle était classée au rang des biens de l’homme. Le code civil Napoléon était le code de la puissance masculine et de la mise de la femme sous la tutelle de l’homme. Et c’est ce code qui a longtemps été appliqué ici avant que le code civil des personnes et de la famille ne naisse.
La situation va-t-elle en se dégradant ?
Je ne le dirai pas ainsi. Aujourd’hui, la volonté politique exprimée et mise en œuvre de promouvoir les femmes, de les protéger et de les défendre contre la violence a permis que le silence autour de cette violence ciblant les femmes et les filles se brise. A côté de la sensibilisation, les lois se sont spécialisées et couvrent de plus en plus les infractions commises à raison du sexe des personnes. Des parents ont le courage de porter l’affaire hors du cercle familial pour demander justice. Le réflexe de dénonciation se crée et se renforce. Il est vrai que de nos jours, beaucoup de choses sont exacerbées par l’accès facile à des contenus pornographiques, pédophiles … On en parle plus car la cohésion familiale est davantage menacée. Moi qui ai grandi en famille, entourée de cousins, d’oncles, je n’ai jamais eu à craindre quoi que ce soit d’eux. Mes sœurs non plus. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il n’y a plus de figures masculines familiales que les mères qui ont des filles mineures* accueillent favorablement chez elles. La suspicion, à juste titre, s’est installée puisque malheureusement, dans beaucoup de cas de viol de fillettes, les auteurs sont dans la famille ou proches d’elle.
Égalité homme-femme ! A vous écouter, doit-on en arriver à la conclusion que ce n’est pas une réalité au Bénin ?
Ce n’est pas encore une réalité au Bénin, mais on peut espérer que le combat de longue haleine qu’on va continuer de mener produise du bon fruit. Puisque nous avançons. Il nous faut promouvoir le dialogue communautaire. Prenons l’exemple d’une affaire portée devant les tribunaux, celle d’un homme de 30 ans qui viole une adolescente de 13 ans. Le dialogue communautaire doit amener la famille du coupable à ne pas mettre la pression à la famille de la victime. Il ne s’agira plus de « Vous êtes en train de mettre notre fils en prison » mais plutôt de « notre fils s’est mis en prison par l’acte répréhensible qu’il a posé ». Ainsi, les gens finiront par comprendre qu’homme et femme ont des droits égaux. Le dialogue communautaire doit se faire avec les acteurs communautaires à la base, ceux-là qui rassemblent et sont écoutés par les communautés. Il doit puiser dans nos valeurs traditionnelles pour qu’on cesse de dire que c’est l’affaire des Blancs. Petit à petit, on va y arriver. A l’instar de la réforme qui a permis d’avoir 28 femmes au parlement cette année, il nous faut mener des actions fortes pour une égalité étayée par des bénéfices pour tous. Lutter pour la promotion des droits de la femme, c’est œuvrer pour le bien de tous. Qu’on le veuille ou non, les enfants passent plus de temps avec leur mère qu’avec leur père. J’en ai fait moi-même l’expérience. C’est avec ma voiture qu’on partait chercher mes enfants à l’école. Ce sont des moments précieux pendant lesquels le parent découvre ses enfants. Leur histoire, leurs opinions, et peut mieux les écouter, les guider, et mieux les éduquer. Ce sont les mamans qui vivent souvent ces moments et prennent ainsi une part plus importante dans leur éducation. Ce sont les mamans qui s’occupent de recevoir les familles à la maison et se chargent de l’équilibre de tous. Quand elles sont brimées et ne sont pas épanouies, cela rejaillit sur leur entourage. De même leur bien-être déborde naturellement sur leur entourage.
Vous avez dit que la lutte pour la promotion des droits de la femme n’est pas un combat des femmes contre les hommes. Pensez-vous que cette perception est partagée par toutes les femmes ?
Je sais que ce n’est pas partagé et j’estime aussi que c’est inutile d’être d’un féminisme extrémiste. Je n’en suis pas et je pense que mon vécu m’y aide. Je reconnais qu’il y a aussi des femmes violentes, éduquées parfois ainsi pour dissuader et réprimer toute violence ou récidive. Elles sont sur le qui-vive sans réaliser qu’elles peuvent provoquer inutilement de la violence. C’est vrai que dans plusieurs de ces cas, c’est de la violence contenue qui exprime un ras-le-bol face aux maltraitances subies. Même si les hommes souvent sont violents, à quoi cela sert-il de ne pas les impliquer dans nos actions pour moins de violences ? La solution se trouve dans le changement de l’auteur des violences. Et là encore tous les hommes ne sont pas violents. Tous les hommes ne discriminent pas. Il nous faut l’admettre et associer les hommes pour qu’il parlent aux hommes potentiellement violents. Plus on fera parler des hommes non violents, des hommes qui sont pour la cause féminine, plus on gagnerait du monde à la cause. Si on n’associe pas les hommes à cette lutte, elle risque de durer plus longtemps, parce qu’on conforterait les hommes dans l’idée qu’il s’agit d’un combat mené par les femmes contre les hommes. Ce qui n’est pas le cas. Un homme expliquera mieux le ressenti d’un autre homme à une femme. Ainsi seulement on peut trouver des solutions adéquates pour l’épanouissement de l’homme et de la femme.
Pouvez-vous partager avec nous une anecdote vécue en raison de votre condition de femme ?
Oui, je le peux. Je dois dire qu’il a fallu que je sorte du Bénin pour que cela m’arrive. Avant tout, je dois préciser que s’il y a bien un métier dans lequel nous ne souffrons pas de la discrimination basée sur le genre, c’est bien le métier d’avocat. Je voudrais ici rendre hommage à mon maître de stage, feu Alfred Pognon qui me l’a très tôt fait comprendre. Bien que constatant mon état de grossesse bien avancée dans le temps, il avait tenu à ce que je m’occupe d’un transport sur les lieux dans une zone au relief accidenté en prononçant cette phrase que je n’oublierai jamais : « Un avocat n’a pas de sexe ». J’étais à la fois remontée contre lui et admirative. J’ai bien accompli ma tâche et en ai gardé cette leçon : « un avocat n’a pas de sexe ». En revanche, j’ai expérimenté la discrimination basée sur le genre en tant qu’activiste pendant un séjour en Jordanie en 2008. J’y suis allée parler de droits des femmes à des parlementaires. J’ai vécu deux situations. Premièrement, tant que c’étaient des hommes qui parlaient, l’assistance masculine était attentive. Dès que j’ai commencé à mon tour à parler, tous les hommes se sont désintéressés de la séance, échangeant entre eux et m’ignorant. J’ai aussitôt compris que la raison est que je suis une femme. Deuxièmement, j’ai souhaité descendre du 3ème étage et ai appelé l’ascenseur. Lorsqu’il est venu et que je l’ai pris, la scène qui s’est produite m’a choquée. Au moment où j’allais entrer dans l’ascenseur dans lequel un homme se trouvait, ce seul occupant de l’ascenseur est sorti en faisant un grand geste de colère et en maugréant contre moi. Ne comprenant pas, j’en ai parlé à ma descente de l’ascenseur, à une consœur maghrébine. Elle m’a expliqué qu’en Jordanie, homme et femme ne partagaient pas le même ascenseur au même moment. Prendre cet ascenseur qu’il occupait déjà, avait été reçu comme un affront par cet homme. C’est un fait qui m’a vraiment marqué.
Que diriez-vous à :
- à un adolescent témoin oculaire des violences physiques et psychologiques infligées par son père à sa mère ?
Je lui poserais ces quelques questions : Quelle valeur accordes-tu à ta mère ? Ta mère est -elle aussi importante pour toi que ton père ? Ta jeune sœur a-t-elle la même valeur pour toi que toi même ? Je lui dirai de ne pas se mêler à la bagarre entre ses parents, sauf à appeler au secours si sa vie est en danger, et je lui dirai aussi qu’il n’est pas tenu de penser et d’agir comme son père, ni maintenant, ni plus tard. Chaque humain est unique et n’a pas de duplicata. Que l’on soit fille ou garçon, chacun naît avec une mission, une raison d’être. Personne n’a le droit de faire entrave à son accomplissement et son épanouissement. Qu’il ne l’oublie jamais ! C’est délicat et je ne peux l’inciter à juger son père. L’aider à bâtir ses propres convictions est la meilleure arme pour l’amener à devenir un homme non violent.
à un père informé de telles violences exercées par son gendre sur sa fille ?
Je peux vous dire qu’il y a deux catégories de pères. Ceux qui s’inquiètent pour leurs filles et ceux qui sont indifférents. Parmi les premiers, il y en a qui viennent ici nous alerter du danger que ne perçoivent pas assez tôt leurs enfants filles. Je dirai à ces pères de voler au secours de leurs filles en deux étapes : la conciliation et la fermeté.
En premier lieu, appeler et discuter avec son gendre est ce que je recommande. Il peut le conseiller comme un père parle à son fils en lui donnant son propre vécu avec sa femme ou d’autres couples en exemple. Qu’il lui rappelle les conditions sous lesquelles il avait consenti à lui donner sa fille en mariage : un projet de bonheur et non de souffrance. C’est une information, mieux, un rappel à l’ordre à l’époux qui doit se souvenir que sa femme est la fille de quelqu’un. Cette démarche a tout son sens. Il lui faudra aussi amener sa fille à ne pas accepter la violence et à dire NON !
En second lieu, il devra être attentif aux signaux d’alerte : bleus sur le corps, arrêt de travail sur exigence du mari… A ce moment où cette femme elle-même peut ne pas réaliser tout le danger, son père peut porter plainte pour elle à l’Institut national de la femme, auprès des centres de promotion sociale ou au commissariat. Lorsque les raisons de s’inquiéter sont valables et avérées, cette démarche paternelle est salutaire. Au cas échéant, il peut arriver que nous recommandions aux parents d’arrêter leurs intrusions dans le ménage de leur fille.
A un voisin au courant des maltraitances subies par la fille aide-ménagère de ces voisins ?
Je lui dirai « Ne te tais pas ». Je lui demanderai de dire à ses voisins « Votre violence déborde vos murs et nous met dans une inquiétude permanente. Vous ne vous rendez pas compte que vous vous exposez à ce que cette fille meure sous les coups de vos maltraitances ». On peut tenir un tel langage ou un autre. Le plus important est de ne pas rester sans rien faire et risquer de se retrouver en situation de non-assistance à personne en danger. Si la violence persiste, il faut alerter la police ; les centres de promotion sociale les plus proches et les numéros verts de l’Institut national de la femme (Inf). A l’Inf, nous ne dévoilons pas l’identité de ceux qui dénoncent sauf s’ils nous y autorisent.
Propos recueillis par Fredhy-Armel BOCOVO (Coll)
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