Voix de femmes : Nathalie Hounvo-Yékpé s'exprime...

1er mars 2023

Comédienne, metteuse en scène et autrice, Bidossessi Nathalie Hounvo-Yékpé est bien connue des milieux théâtraux et cinématographiques béninois et même étrangers. Lauréate du concours SENDA 2022, celle qui sera en résidence d’écriture courant avril-mai 2023 pour l’écriture de sa prochaine pièce de théâtre « Ne plus être », prend ici la parole sur le sujet de la femme.

Quelle est la place de la femme béninoise dans la société actuelle ?
Je pense que dans la société béninoise, la femme n’a pas de place. Elle essaye de se faire une place. Par le passé, elle a eu une place importante. Exemple pris sur l’intronisation des rois dans des régions de notre pays, cela ne pouvait se faire sans la femme car chargée d’accomplir certains rituels. Pour ce que je sais, dans les familles princières dans certaines régions de notre pays, les enfants des princesses sont mieux choyés que ceux des princes. Le roi était assuré de partager un lien de sang avec les enfants d’une princesse qu’avec les enfants d’un prince qui aurait pu être cocufié et assumer la paternité d’enfants avec lesquels il n’avait de lien de sang. Alokpon, illustre chanteur mahi, avait affirmé plusieurs décennies en arrière, que les hommes doivent se résoudre à leur statut d’ouvrier de la femme. Pour moi, tout ça c’est de la considération faite à la femme. Les anciens savaient valoriser la femme. Mais à son arrivée, le colonisateur a estimé que nous n’étions pas civilisés et a voulu nous civiliser. Je crois qu’alors, nous nous sommes perdus en route. Je trouve personnellement que tout est taillé sur le système patriarcal et que la femme est reléguée au second plan. Il faut quand même dire que la femme œuvre à se faire une place, elle force et arrive cahin-caha.

Quelle appréciation avez-vous de l’égalité homme-femme ?
Le mot égalité me dérange beaucoup. Il renvoie à de la comparaison. La question que je me pose alors est : comment puis-je comparer deux êtres de natures différentes ? sur quelles bases ? comment puis-je comparer une orange à une mangue ? Je suis contre l’expression égalité homme-femme. Il ne devrait pas y avoir de comparaison, de supérieur ou d’inférieur. La femme est la femme et l’homme est l’homme. En parlant d’égalité homme-femme, je comprends qu’on veuille nous dire qu’homme et femme ont tous deux les mêmes droits. Et là encore, c’est faux. Une petite illustration. Les congés maternité ne peuvent pas être égaux aux congés de paternité car la maternité avec toutes ses implications n’est pas égale à la paternité avec toutes ses implications. Les deux expériences vécues au même moment sont très différentes. L’homme responsable et bien éduqué ne se sent pas supérieur à la femme parce qu’il satisfait ses besoins pendant qu’elle s’occupe de leur progéniture. Chacun son rôle et ce qu’il doit apporter pour la bonne marche du foyer. Hormis les exceptions, l’homme est généralement de constitution physique plus forte que la femme. C’est naturel et c’est un fait. La nature l’a voulu afin que l’homme prenne soin de la femme. Je n’excuse pas les hommes qui en abusent pour violenter les femmes. Il n’y a pas de concurrence à cultiver entre homme et femme. Autrement, ce sont les enfants, la famille et la société qui en pâtissent. Il faut bien le retenir, je ne suis pas féministe. Je suis pour le respect des droits des femmes. Pour autant, je refuse de le brandir comme une médaille ou une banderole.

Partagez avec nous une anecdote vécue en raison de votre condition de femme ?
J’ai été en colère parce que personne ne m’a informé de la conférence de presse que Djimon Houssou a tenu avec les acteurs du cinéma béninois dans le cadre de son séjour au Bénin en 2014. J’ai appris la nouvelle le lendemain dans les journaux et me suis sentie déconsidérée comme actrice. Vexée, j’ai filé à son hôtel et ai fait le pied de grue à la réception pendant plusieurs heures pour le voir. J’ai rencontré son staff qui m’a fait attendre mais je n’ai pas désisté. J’étais partie pour le voir et je m’étais dit que je le verrais. Et ça s’est fait ! Certes, après de longues heures d’attente mais ça s’est fait. Il faut dire que son refus était une précaution qu’il avait prise parce que je suis une femme. Quand il m’a finalement reçue dans sa chambre d’hôtel où il avait veillé son fils malade toute la nuit, j’ai compris que la fatigue aussi avait motivé son refus. Toutefois, il m’a reçue avec sourire. Prévu pour durer cinq (05) minutes, notre échange s’est étalé sur trente (30) minutes. Il m’a alors parlé de son projet de tournage sur le vodoun. Je lui ai fait des suggestions et même laissé une clé usb (qu’il a aussitôt égarée) avec des extraits de film dans lesquels j’avais joué. Lorsque je descendais l’escalier après l’avoir quitté, c’est lui qui est sorti de sa chambre et m’a dit : « Tu ne prends pas une photo avec moi ? ». C’est une scène gravée dans ma mémoire. Plusieurs mois après cette rencontre, Djimon Houssou est tombé sur l’un de ces extraits de films diffusé chez lui à Los Angeles et a reconnu mon visage grâce à son neveu, témoin de notre rencontre, quelques mois plus tôt. De fil en aiguille, par personnes interposées, il a fini par entrer en contact avec moi et m’a proposé de collaborer avec lui sur le projet de film documentaire sur le vodoun dont il m’avait parlé. C’est ainsi que je me suis retrouvé seule femme parmi les 30 personnes (les intervenants d’ici pour beaucoup, choisis par moi et les intervenants venus d’hollywood) de l’équipe sur ce projet. Toute l’équipe avait fini par en oublier que je suis une femme. Le réalisateur américain m’a d’ailleurs dit une fois : « You are not a woman. You are a man, this girl ».

Que diriez-vous à une jeune fille qui souhaite devenir comédienne ?
J’ai l’habitude de dire aux jeunes filles de descendre de leur nuage. Généralement, elles veulent de ce métier car rêvent de paillettes oubliant que la beauté de l’artiste n’est pas physique. Elle se trouve dans le travail acharné de plusieurs heures pendant plusieurs jours, mois et même années, à transpirer et dans le don de soi sur scène. Ça n’arrive pas seul. Comme au football, derrière chaque but, il y a beaucoup d’entrainements, encore plus d’échecs mais aussi la générosité de coéquipiers qui savent s’effacer en faisant des passes décisives. De même pour être comédien, il faut avoir l’esprit d’équipe, être à l’écoute et au service de toute son équipe. C’est ce que je veux que cette jeune fille comprenne.
Propos recueillis par Fredhy-Armel BOCOVO (Coll)



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