Xavier ZOLA, juriste, expert foncier à propos de la création de la Cour spéciale des affaires foncières : « L’Etat veut reprendre en main la gestion du foncier »

12 mai 2022

Juriste, expert foncier agréé près les Cours d’appel, Xavier ZOLA n’est pas resté indifférent à l’annonce par le Conseil des ministres de la création d’une nouvelle juridiction chargée des affaires foncières. Tout en saluant cette initiative, l’expert souhaite que dans sa concrétisation, elle permette à l’Etat d’avancer sur les chantiers qui requièrent de lourds investissements mais aussi que les citoyens soient amenés à agir dans les limites qui sont les leurs. La finalité étant d’aboutir à une gestion saine du foncier qui porte un coup d’arrêt aux manœuvres de la mafia qui se nourrit des litiges.

Trouvez-vous pertinent le projet de création de la Cour spéciale des affaires foncières ?
Il faut déjà voir à travers cette annonce, la volonté du gouvernement à mettre le foncier au cœur du développement, c’est-à-dire dans les dispositifs nécessaires pour pouvoir faire bouger les lignes dans le pays. La terre est au cœur du développement économique. C’est un outil indispensable pour la croissance économique. Ce qu’il faut lire pour être un peu plus concret, le gouvernement veut certainement faire des choix. Il y a beaucoup d’investissements et d’infrastructures prévus au titre du Programme d’actions du gouvernement. Et tout ceci doit forcément se réaliser quelque part sur des terres dans le pays. Souvent, les projets sont confrontés à la problématique de la terre parce qu’il y a des conflits au tribunal ou les procédures d’expropriation ont du mal à évoluer dans un contexte où il n’est déjà pas facile de déterminer le présumé propriétaire d’une terre où plusieurs personnes peuvent se présenter. C’est pour ça que le gouvernement a voulu mettre en place un outil pour prendre en main les différentes situations et trouver les solutions qui conviennent pour lui permettre d’avancer sur les différents dossiers.

Avec la création de cette Cour, qu’est-ce qui va changer ?
Ce qui va changer, c’est d’abord une Cour spéciale. Elle va se consacrer aux affaires foncières et tout particulièrement comme ça a été dit dans le relevé du Conseil des ministres, cette Cour va se consacrer aux expropriations, à la mise en application des décisions de justice et pour certaines opérations immobilières. Avec la réforme foncière prévue par le code foncier et domanial, les Chambres de droit et de propriété foncière ont été créées dans tous les tribunaux dans le pays. Ces chambres s’occupent des litiges fonciers. L’annonce de la création de la nouvelle Cour permet à l’Etat de réaffirmer son engagement à prendre en main les dossiers et à pouvoir les faire avancer. Au-delà de ce qui se faisait de façon ordinaire dans les différents tribunaux, je crois qu’il s’agit tout particulièrement d’aider l’Etat à prendre en main les dossiers qui le concernent et qui touchent aux grands investissements.

Est-ce à dire que les tribunaux actuels qui s’occupent de ces questions sont inefficaces ?
Je n’ai pas vu le diagnostic qui a été fait, mais on constate que les tribunaux sont engorgés. C’est aussi une manière de les accompagner et de déterminer un certain nombre de dossiers qui pourront directement être pris en charge par cette Cour. Manifestement, ces Chambres de droit et de propriété foncière n’arrivent pas à gérer au mieux la situation.

La création de cette Cour ne va-t-elle pas pénaliser les justiciables obligés de se déplacer d’un point à l’autre du pays pour y porter leurs affaires ?
A la lecture du relevé du Conseil des ministres, on note qu’il y a certaines localités du pays qui ont été ciblées à savoir Porto-Novo, Cotonou, Abomey-Calavi, Ouidah, Tori-Bossito, Allada et Sèmè-Podji. Donc, c’est uniquement les dossiers de ces localités qui seront confiées à cette Cour. Il faut également préciser que tous les dossiers ne seront pas transférés à cette nouvelle juridiction. On attendra la loi qui va préciser les attributions, mais d’ores et déjà il y a nécessairement une catégorie de dossiers qui est ciblée. La lecture que je fais, c’est que l’Etat veut se donner les moyens de faire avancer les dossiers sur lesquels il travaille. Il faudra garder cela à l’esprit. La compétence territoriale réduite de cette Cour peut être sujet à réflexion. Ne serait-ce pas mieux d’avoir une Cour dont la compétence territoriale est plus élargie ? Car les préoccupations posées par le gouvernement dans les localités citées se posent partout ailleurs dans le pays.
La mise en place de cette Cour va créer un contexte qui permettra à chacun de commencer par prendre conscience du fait qu’il est regardé et suivi et que à tout moment il peut être interpellé.

Faut-il comprendre que les faussaires dans le domaine du foncier seront davantage inquiétés ?
L’annonce peut déjà leur permettre de savoir que les choses ont changé. Ensuite, ce sont les premières actions de cette Cour qui vont permettre à chacun de comprendre que la situation a changé. Il y a cette mafia dont on parle qui est tapie à tous les niveaux et qui vit des litiges. La création de cette Cour est un signal fort que le gouvernement veut envoyer pour régler plusieurs problèmes. C’est aussi et surtout pour arriver à remettre chacun dans son couloir et jouer son rôle au lieu de créer des obstacles à tout va.
Je souhaite que cette dynamique qui est insufflée dans le cadre de la mise en œuvre de la réforme foncière soit maintenue et que cette Cour ne soit pas une juridiction de plus, mais plutôt qu’elle permette aux uns et aux autres de savoir que l’Etat est en train de reprendre en main l’administration et la gestion du foncier. Il y a des règles qui doivent s’imposer dans l’intérêt de chacun et de tous. Nous avons besoin d’avoir un foncier sécurisé au service du circuit économique et du progrès social.
Propos recueillis par Moïse DOSSOUMOU



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